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Riccardo Muti dirige le Chicago Symphony Orchestra - Impérial - Compte-rendu


Peut-on reprocher à Muti d’être civilisé ? Voilà sans doute le seul minuscule bémol que l’on peut accrocher au tableau d’excellence dont il vient de donner une nouvelle preuve au sein de la tournée effectuée en Europe avec son CSO. Après Salzbourg et Lucerne, et avant Paris, Dresde et Vienne, le maestrissimo s’est posé à Luxembourg où on l’attendait comme le Messie : le public de la belle Philharmonie, reconnaissant, a salué ce concert mémorable d’une véritable standing ovation, conscient qu’il applaudissait avec le CSO et son chef l’une des plus somptueuses formations actuelles. Car le Chicago Symphony Orchestra a peu de rivaux, Berlin ou Amsterdam exceptés : pupitres occupés par des solistes de renom qui savent mettre leur personnalité au service de l’ensemble comme l’étonnant Robert Chen, 1er violon, qu’on aimerait entendre isolément un peu plus souvent, ou à la flûte, notre compatriote Mathieu Dufour, conquérant du nouveau monde après l’Orchestre du Capitole et l’Opéra de Paris. Sans parler du hautbois lumineux, des cors qui sonnent juste, et d’un charnu dans les cordes, capables pourtant d’aller jusqu’à la lame de rasoir.

C’est bien là ce qu’il fallait pour rendre justice à la fourmillante Cinquième Symphonie de Chostakovitch, où Muti a laissé transparaître sa finesse un rien académique, surtout dans le premier mouvement où tout gronde et scande les soubresauts d’un monde obscurci par les dictatures qui l’écrasent, qu’elles aient nom Ivan le terrible ou Joseph Staline. Appréciation plutôt que critique car pour charrier les vagues d’émotions contradictoires lancées par Chostakovitch, dans son style en bourrasque si russe, où le calme nourrit toujours la tempête à venir, il faut une main de fer et une vision puissante. On y a entendu des ralentis, des soupirs inouïs et une progression finale douloureuse, contraignante. Stupéfiant de rigueur d’analyse et de profondeur.

Auparavant, impériale, l’avancée toute tracée de l’idéaliste Mort et Transfiguration de Strauss, admirable faire valoir des possibilités dynamiques de l’orchestre et de son ampleur lyrique, tenue toujours par Muti dans les limites de l’intelligence. Et pour ouvrir le jeu, une sorte de danse macabre intitulée Danza petrificada, de l’Anglais Bernards Rands (né en 1934), créée à Chicago en mai dernier en hommage au centenaire de l’indépendance du Mexique : une compression de sonorités et de rythmes mexicains, tenue avec une grande nervosité et interrompue d’un trait, comme un acte magique. De quoi mettre les musiciens tout de suite dans le vif de leur instrument et de leur force collective.

Mais une fois de plus, ce qui a frappé, c’est la qualité de silence du public et un orchestre tendu à l’extrême dans l’attente du moindre geste du maestro, dont le charisme et la pureté de style parviennent à éclairer les expressions les plus contradictoires. Muti montre un chemin, assurément, et même une voie royale.

Jacqueline Thuilleux

Luxembourg, Philharmonie, 31 août 2011

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