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​« Histoires d’eau » par La Boîte à Pépites (Cité de la musique) – Douces ou salées – Compte-rendu

 

 
C’était Noël avant l’heure, le 14 décembre à la Cité de la musique, où la quasi-totalité des interprètes associés (pour nombre d’entre eux depuis le tout début de l’aventure) à la Cité des Compositrices d’Héloïse Luzzati se rassemblaient pour un grand concert qui, à l’instar de l’année passée avec « Le Jardin féerique », reprenait – et dévoilait pour celles encore à venir en vidéo – l’ensemble des partitions présentées dans le Calendrier de l’Avent musical 2025, placé cette fois sous le thème « Histoires d’eau ».(1) Comme l’an dernier, les musiques étaient mises en correspondance avec des tableaux issus des collections du Musée d’Orsay, grâce au travail, toujours aussi remarquable, de Pierre Creac’h (avec Théodore Marle à ses côtés), et bénéficiait de courtes introductions joliment dites par H. Luzzati, femme orchestre dont l’engagement et la passion forcent l’admiration.

 

Héloïse Luzzati © Chan Vinh Vong

 
Curiosité avisée
 
Musique et eau : riche matière, que La Boîte à Pépites a explorée en sélectionnant les pièces, avec le plus grand soin ! Etre née d’une plume féminine est certes une condition nécessaire ici, mais nullement suffisante. La qualité de la musique prime toujours et, pour reprendre les mots d’H. Luzzati, une « curiosité avisée » guide le travail de la Cité des Compositrices (dont La Boîte à Pépites est, rappelons-le, le label discographique). Curiosité avisée qui aura conduit à élire vingt-quatre partitions que le programme rassemblait en deux parties : « Où naissent les eaux : petits récits d’eaux douces » et « Où se perdent les eaux : petits récits d’eaux salées ».

 
Découvertes vocales
 
Le mouvement initial du Wolgaquintett de l’Autrichienne Maria Bach (1896-1978 ; par R. Moreau, C. de Forceville, V. Despeyroux, H. Luzzati, C. Oneto Bensaid), d’une merveilleuse ampleur lyrique, ouvre un concert au cours duquel les morceaux vont s'enchaîner (avec une fluidité remarquable) jusqu’à la vibration lumineuse du finale de Quintette avec piano de d’Adela Maddison (1862-1929 ; M. Galy, R. Moreau, L. Hennino, H. Luzzati, D. Kadouch) – l’artiste anglaise était élève et proche de Fauré : cela s’entend !
 
Du côté vocal aussi bien qu’instrumental, les motifs d’émerveillement abondent et donnent envie d’en savoir plus sur les compositrices, autant que de découvrir l’ensemble de l’œuvre quand, comme c’est très souvent le cas, on a affaire à un extrait.
Dans la première catégorie, A la nuit grise de S’il revenait un jour de l’aixoise Madeleine Roman-Lauvière (1889-1987 ; M. Jacquard, H. Luzzati, T. de Williencourt) s’oppose à l’atmosphère pleine de fragrances sucrées – souvenir des Indes ... – du duo Jhelum Boat Song  de l’Anglaise Amy Woodforde-Finden (1860-1919 ; Fiona McGown, M. Jacquard, Anne de Fornel). Dans la liste des compositions réussies sur des fables de La Fontaine, il faut sans faute inscrire les méconnues six pièces pour quatuor vocal écrites par Marie-Madeleine Chevalier-Duruflé (1921-1999), à en juger en tout cas par Le Loup et l’Agneau, qui révèle un esprit et une intelligence polyphonique dont M.-L. Garnier, L. Perbost, M. Jacquard et F. McGown se régalent. On se laisse prendre aussi par le troublant et brumeux Lac de Régina Patorni-Casadesus (1886-1961 ; M.-L. Garnier, S. Nemtanu, T. Fouchenneret) ou par le nocturne et bruissant Lake Isle of Innisfreee de l’Etatsunienne Catherine Murphy Urner (1891-1942 ; M. Jacquard, A. Lefebvre de Rieux, H. Luzzati, C. Luzzati).

 

Anne de Fornel, Fiona McGown & Marielou Jacquard © Chan Vinh Vong
 
Bouleversant Lamento

 
En mai dernier aux Bouffes du Nord, le concert anniversaire du Festival Un Temps pour Elles avait permis d’entendre les Four Songs (sur des poèmes d’Henri de Régnier) d’Ethel Smyth (1858-1944) par Lucile Richardot. On retrouve ici l’Odelette introductive par Marielou Jacquard, qui sait traduire la résonance très personnelle de la pièce, soutenue par un très original effectif instrumental (A. Lefebvre de Rieux, C. de Forceville, V. Despeyroux, C. Luzzati, R. Théry). Et que de charme entêtant de le Cantar de marinero de l’Espagnole Matilde Salvador (1918-2007 ; M. Perbost, G. Bianco) dont la mélodie paraît s’évaporer dans la touffeur du soir.
On a gardé pour conclure cette recension vocale, la pièce sans doute la plus étonnante : le Lamento de Magdeleine Boucherit Le Faure (1879-1960) – l’épouse du violoniste Jules Boucherit (1877-1962) – un ouvrage de près d’une dizaine de minutes, avec une longue introduction instrumentale, pour mezzo et quintette avec piano (F. McGown, Quatuor Hanson, A. de Fornel) sur un texte de Georges Le Faure où la mer berce le souvenirs des marins morts. De la plus bouleversante façon ...

 
Un grand triptyque
 
Les découvertes se révèlent non moins séduisantes côté instrumental. On retrouve avec plaisir la mobilité irisée de l’Aquarium de Fernande Decruck (1896-1954), pièce que Celia Oneto Bensaid a donnée l’été passé lors d’un récital mentonnais et qu’elle reprend ici. C’est elle qui, toujours à Menton, nous avait révélé les Impressions de mer (1921-22) de Marcelle de Manziarly (1899-1989), compositrice née en Ukraine et formée en France par Nadia Boulanger. A la Cité de la musique, Jean-Frédéric Neuburger se charge du premier volet (La Grève) de l’ouvrage et confirme, avec des basses d’une profondeur saisissante, que ce triptyque d’une noirceur d’encre se range parmi les grandes réalisations pour piano de l’entre-deux-guerres.

 

Sarah Nemtanu, Raphaëlle Moreau, Manon Galy & Clémence de Forceville © Chan Vinh Vong

Mystère de la mer
 
Au piano solo, il faut aussi saluer la très mendelssohnienne romance sans paroles Venezia de l’Allemande Delphine von Schauroth (1813-1887) que Théo Fouchenneret aborde avec caractère et élégance. Le même s’associe à Tanguy de Williencourt pour libérer la charmeuse tendresse du n° 6 des Ondines, valses à quatre mains d’Hedwige Chrétien (1859-1944). Retour au deux-mains avec The Seal-Woman’s Sea-joy de l’Ecossaise Helen Hopekirk dont Vanessa Wagner soigne l’écriture évocatrice et très mobile inspirée par la légende des femmes phoques. Quant à Marie-Josèphe Jude, l’une des plus belles pépites du concert lui revient : Mystère de la mer, prenante page issue des Impressions de voyage op. 33 de la Française Rosette Ehrmann (1887-1974).

 
Une autre Syrinx
 
Reste que la musique de chambre domine sur le plan instrumental. Syrinx ? Ce titre fait certes d’abord penser au morceau écrit en 1913 par Debussy, mais désigne aussi une composition (de structure lent/animé) de Marthe Braquemond (1898-1973) dont Mathilde Caldérini et J.-F. Neuburger démontrent qu’elle mérite amplement de sortir de l’oubli. Et l’on a cédé sans mal au prenant lyrisme de Mélancolie en barque (H. Luzzati, V. Wagner) de Jeanne Bernard (1895-1979), à l’hypnotique poésie de The Moorings de l’Anglaise Dorothy Howell (1898-1982 ; S. Nemtanu, M.-J. Jude), comme aux couleurs boréales du Chant du Nord op. 96 de Cécile Chaminade (1857-1944 : S. Nemtanu, T. Fouchenneret).

 

© Chan Vinh Vong

 
De séduisants quatuors
 
L’intelligence des timbres qui se manifeste – bien aidée par les interprètes ! – dans The Bay, 3ème volet du Piano Quartet de Freda Swain (1902-1945 ; M. Galy, L. Hennino, H. Luzzati, C. Oneto Bensaid) donne envie de découvrir la totalité d’une partition écrite en 1950 par l’artiste anglaise. On peut en dire autant à propos des Three Highland Sketches de l’Ecossaise Marie Dare (1902-1976) en entendant Strathspey & reel, dernier d’une partition pleine d’embruns et de rythmes folkloriques où le Quatuor Hanson vise juste et trouve le grain de son approprié.
Autre Quatuor, celui pour quatre violons de Grazyna Bacewicz (1909-1969 ; S. Nemtanu, C. de Forceville, R. Moreau et M. Galy), partition d’un seul tenant, révèle un visage séduisant et inattendu, d’une compositrice polonaise profondément marquée par la France. Puisque la guitare était aussi représentée, terminons par Mar, tiré des Preludios nostalgicos de l’Argentine María Luisa Anido (1907-1996), que Gabriel Bianco a su pleinement mettre en résonance avec La Nuit étoilée de Van Gogh.
 
Vous avez manqué le concert, négligé de feuilleter le Calendrier de l’Avent musical « Histoires d’eau » ? Pas d’inquiétude, toutes les raretés évoquées plus haut demeurent librement accessibles (au même titre que les calendriers 2020, 2021, 2022, 2023 et 2024) sur le site de La Boîte à Pépites. Rendez-vous à la mi-décembre 2026 pour le prochain concert. Le thème n’est pas encore choisi mais, comme on peut s'en douter, les idées ne manquent pas ...
 
Alain Cochard
 

Paris, Cité de la musique (Salle des concerts), 14 décembre 2025
 
(1) Calendrier de l’Avent musical « Histoires d’eau » : www.youtube.com/channel/UCEgIu9tRclQYh9GDYfMjiWA
 
 
Liste des interprètes présents le 14/12
 
Gabriel Bianco, guitare
Mathilde Calderini, flûte
Violaine Despeyroux, alto
Clémence de Forceville,violon
Anne de Fornel, piano
Théo Fouchenneret, piano
ManonGaly, violon
Marie-Laure Garnier, soprano
Léa Hennino, alto
Marielou Jacquard, mezzo-soprano
Marie-Josèphe Jude, piano
David Kadouch, piano
Anastasie Lefebvre de Rieux, flûte
Constance Luzzati, harpe,
Héloïse Luzzati, violoncelle
Fiona McGown, mezzo-soprano
Raphaëlle Moreau, violon
Sarah Nemtanu, violon
Jean-Frédéric Neuburger piano
Célia Oneto Bensaid, piano
Marie Perbost, soprano
Rodolphe Théry, percussions
Vanessa Wagner, piano
Tanguy de Williencourt, piano
Quatuor Hanson

Photo (M. Galy, R. Moreau, L. Hennino, H. Luzzati, D. Kadouch) © Chan Vinh Vong

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