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Revolve d’Emmanuelle Vo-Dinh au Havre - L’art de tourner en rond sans parler pour ne rien dire - Compte-rendu

En attendant que le Volcan (également baptisé le pot de yaourt par les habitants) construit par Oscar Niemeyer soit rénové, les Havrais se pressent au Volcan Maritime, un lieu bizarre, perdu sur les quais des brumes, ancienne gare maritime devenue centre convivial atypique. Dans la salle, pour ce spectacle du Centre Chorégraphique de Haute-Normandie, un public enthousiaste, vibrant et jeune - à forte prédominance féminine tout de même- pour faire honneur à la première création locale d’Emmanuelle Vo-Dinh, nommée cette année à la direction du Centre, lequel a déjà derrière lui une longue existence jalonnée par des présences aussi marquantes que celles de Bouvier-Obadia et François Raffinot.

Une petite personne volontaire et attachante qu’Emmanuelle Vo-Dinh, dont un des moteurs semble une exigeante rigueur et une quête de possibles à la limite de l’irréalisable. Danseuse chez Raffinot ici même puis créatrice d’une petite compagnie, Sui Generis, au Havre encore, elle a d’abord tâté du figuratif. Elle s’en éloigne aujourd’hui, tourmentée, assurément, mais parfaitement maîtresse de son jeu, avec des paris osés : Revolve, ici présenté, repose sur une base musicale plus que difficile, le Vortex temporum de Gérard Grisey, œuvre phare du compositeur, jouée sur le vif par l’excellent Ensemble TM+ dirigé par Marc Desmons. Sans qu’on en soit heurté : en fait il existe une telle adéquation entre les démarches des deux créateurs, lui avec ses sons dont il voudrait ignorer la substance, et elle avec sa palette de mouvements presque détachés des corps, que toute austérité s’en trouve bannie. Seule demeure la fascination d’une onde tournoyante: du frémissement au transport, de l’ondulation au tourbillon, de la spirale à la toupie, de la courbe à la volute, de la vague à la tempête, du torticolis à l’effusion, un seul flux court d’un corps à l’autre, avec quelques instants de rencontre, très vite dissous dans la course qui les emporte.

La plus pure abstraction dynamique régit ici les mouvements, répercutée sur les costumes de Corine Petitpierre : d’un trait de pinceau, elle fait gicler sur les collants chair des danseuses un grand éclair rouge qui les relie comme les morceaux d’un puzzle. A l’origine, lorsque Emmanuelle Vo-Dinh a créé cette pièce à Toronto l’an passé avec les danseuses du Toronto Dance Theatre, les danseuses étaient six, mais la chorégraphe, on s’en douterait, préfère l’impair libérateur et a monté leur nombre à sept, qui répond à celui des musiciens. Il n’y a pas de place pour leur ego dans ce tournoiement qui, contrairement à celui de «  derviches tourneuses », ne prétend pas mener jusqu’à l’extase mais servir le propos esthétisant d’un créateur. Et l’on admire d’autant plus les jeunes femmes qui s’y prêtent avec passion et fluidité, malgré les ondes nauséeuses qui les ont parcourues au début des répétitions. Le public, comme suspendu, a réservé un accueil enthousiaste à cette pièce aussi belle que difficile et à cette créatrice exigeante. Il est donc prêt pour la suivre dans l’aventure haut de gamme qu’elle lui réserve : ne prépare-t-elle pas un diptyque sur Masculin/Féminin : « La pensée de la différence et Dissoudre la hiérarchie, ouvrage de l’anthropologue Françoise Héritier ? Qui a dit que la danse était un loisir ?

Jacqueline Thuilleux

Revolve - Le Havre, Le Volcan maritime/ Scène Nationale, le 15 novembre 2012. Reprise du spectacle à la Maison de la Musique de Nanterre, le 23 novembre 2012, et à l’Arsenal de Metz, le 14 février 2013.

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Photo : Laurent Philippe
 

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