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Rentrée en Bach majeur au Ballet du Rhin - Une interview d’Ivan Cavallari, nouveau directeur de la compagnie

C’est bien convenu que d’évoquer le charme latin, tout comme l’esprit français ou l’âme russe. Mais comment ne pas y songer quand Ivan Cavallari, nouveau directeur du Ballet du Rhin, après le talentueux Bertrand d’At, fait son entrée. Un air de d’Artagnan, la botte légère, l’oeil malin et le sourire fin, Cavallari, 48 ans, natif de Bolzano, a mis ses pieds dans les bonnes empreintes: Ecole de la Scala, puis Bolchoï, puis Ballet de Stuttgart, alors dirigé par la magnifique Marcia Haydée. Il y est resté quatorze ans. Ensuite, il a porté la bonne parole en remontant une multitude de ballets partout dans le monde, dont les siens. Avant de s’envoler pour Perth, en Australie comme directeur du West Australian Ballet.

Résultat: il parle toutes les langues, connaît tous les styles. Et là, il a ouvert à Mulhouse sa saison rhénane sur un coup d’éclat tout en subtilité: les Variations Goldberg, impossible pari chorégraphique, mais ici réussi, parce que l’insupportable et magnifique Heinz Spoerli l’a relevé (en 1993) à sa manière aigue et instinctive, parce qu’Agnès Letestu en a redessiné les costumes, tandis que le pianiste Alexey Botvinov les jouait de façon quelque peu effervescente. Et enfin parce que les danseurs ont été aiguillonnés par l’aventure qui s’ouvre pour eux, alors qu’ils découvrent avec bonheur leur nouveau maître à danser: voici donc Ivan Cavallari de retour dans la vieille Europe. Heureux qui comme Ulysse…

Comment s’est passé votre séjour australien ?

Ivan Cavallari : Très bien. Et j’ai eu la joie de faire monter la compagnie de 19 à 32 danseurs. J’ai beaucoup reçu là-bas, et je les quitte l’âme en paix : ainsi, ils ont travaillé dans un seul studio pendant soixante ans et maintenant ils ont un très beau Centre de danse. Sur le plan répertoire, il y avait une forte demande du public pour de grands titres, comme Giselle ou le Lac, d’autant que la troupe est très classique, du style pétersbourgeois de l’Ecole Vaganova. Cela ne m’a pas du tout dérangé de garder les pointes, par exemple, mais j’ai essayé de toujours offrir des visions un peu réinterprétées des grandes œuvres, en faisant connaître de jeunes chorégraphes locaux. Mais la situation devenait presque trop confortable pour moi ! Il faut toujours se remettre en question, suivre son instinct, et après six ans d’Australie, j’avais besoin de rentrer en Europe.

Comment percevez vous la compagnie rhénane ?

I. C. : En arrivant, je ne connaissais pas les danseurs, comme en Australie d’ailleurs. Mais je voulais une compagnie de répertoire pour ne pas être étranglé par des nécessités créatives. Certes, je suis chorégraphe à mes heures, mais je ne veux faire de ballets que si j’ai envie de le faire, spontanément. Et puis, en ce qui concerne la tonalité des spectacles, on a la chance de pouvoir proposer ici des choses plus expérimentales, même si seule la base classique permet de développer les autres styles. C’est pourquoi j’ai voulu en ouverture de saison ces magnifiques Variations Goldberg de Spoerli, qui répondent à mes souhaits d’académisme et d’ouverture à la fois. J’ajoute, que bien que ne prenant effectivement mes fonctions que le 1er janvier prochain, j’ai construit toute la saison.

On vous connaît mal en France ?

I. C. : Oui, car j’ai surtout travaillé au ballet de Stuttgart, alors dirigé par la grande Marcia Haydée. C’est en la voyant danser avec Richard Cragun un pas de deux du Roméo et Juliette de Cranko que j’ai eu le coup de foudre pour cette compagnie et son style. Comme étoile, j’y ai dansé le meilleur du néo-classique, de Cranko et Kylian, à Mac Millan, Forsythe, Ashton et Neumeier, sans parler des nouvelles signatures allemandes, comme Uwe Scholz et Stefan Thoss, et ce grâce au talent investigateur de Marcia, qui les faisait venir avant tout le monde : ainsi pour Mats Ek, qu’elle a invité alors qu’on ne connaissait de lui que son Antigone. Puis, vers 36 ans, j’ai compris qu’il valait mieux anticiper, et partir trop tôt plutôt que trop tard ! Ce que j’ai gardé de là-bas, comme idéal chorégraphique, c’est une technique qui se fait oublier au service d’une narration.

Comment s’annonce votre prise en main de la compagnie rhénane ?

I. C. : Je trouve que c’est une compagnie en très bonne santé, dont les solistes méritent d’être valorisés, et qu’il faudrait rendre plus présente auprès du public : avec des séances d’initiation et de rencontres, pour que les danseurs ne soient pas seulement des apparitions de quelques soirs par an, mais de vraies personnes ! J’ai connu la même situation en Australie où tout le monde était sur le même pied. Le ballet communiste, très peu pour moi : j’y ai créé des catégories, en commençant par celle des Jeunes Danseurs, pour les motiver et leur donner l’envie d’aller plus haut. Il faut aussi créer un sentiment d’appartenance du ballet à un lieu, une région. L’idéal serait aussi d’avoir un peu plus de tournées. Je vais m’y employer.

Quels seront vos programmes ?

I. C. : Je vais inviter de jeunes chorégraphes comme le portugais Rui Lopez Graça qui créera son Don Quichotte en janvier. Il imbrique des éléments de Petipa dans sa chorégraphie, sur des musiques allant du XVIIe siècle à aujourd’hui en passant par Minkus, bien sûr. Je voudrais aussi faire appel à de chorégraphes français, exactement comme je l’ai fait en Australie : ainsi Mathieu Guilhaumon (danseur dans la Compagnie) pour Peer Gynt. Quant au spectacle du printemps, La Folie dans la Danse, il mêlera Yuval Pick, Stephan Thoss et Marco Goecke, outre une chorégraphie que je signerai, Dolly. Le nombre de programmes demeurera inchangé, soit trois par an, plus un spectacle pour les enfants, cette année Peer Gynt. Mais je me battrai pour obtenir deux spectacles avec orchestre au lieu d’un actuellement. C’est valorisant pour la compagnie et la qualité des productions.

Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 12 octobre 2012

Variations Goldberg (chor. Heinz Spoerli)
27 et 28 octobre 2012
Colmar – Théâtre municipal

7, 8, 9 (2 représentations, à 14h 30 et 20h), 10 et 13 novembre 2012
Strasbourg – Opéra

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Photo : DR
 

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