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René Jacobs dirige Leonore de Beethoven à la Philharmonie de Paris - A l’origine était Leonore – Compte-rendu

En écoutant cette Leonore de Beethoven créée à Vienne en 1805, qui deviendra quelques années plus tard après de fastidieux remaniements Fidelio (1814), nous serions presque tentés de dire qu'il s'agit de deux œuvres, tant elles sont différentes. Encore marqué par le singspiel très en vogue à la fin du XVIIIème, Beethoven échafaude pour ses premiers pas lyriques une partition équilibrée où les dialogues parlés trouvent naturellement leur place, permettent de lier les scènes entre elles et d'apporter d'utiles informations pour saisir l'intrigue.
L'orchestration plus légère et bucolique que celle qui retentira dans Fidelio, les typologies vocales du couple Leonore/Florestan, moins sombres et dramatiques qu'elles ne le seront dans les versions suivantes, changeant considérablement les personnalités de ces héros. Plus juvénile et plus fin, l'univers sonore dans lequel évolue Leonore est encore celui d'un baroque finissant, mais également de Haydn ou de Cimarosa, avec cette propension aux aigus limpides et aux vocalises échevelées, celui de Fidelio annonçant la fin d'une ère dans laquelle viendra s'engouffrer le soprano dramatique cher à Berlioz (Didon) et à Wagner (de Brünnhilde à Kundry). Quant à Florestan, cette première mouture est elle aussi bien plus abordable que ne le sera la seconde avec son « Gott » introductif et ses interminables interpolations vers l'aigu qui deviendront l'apanage du heldentenor.
Après Vienne, Cologne, Athènes, Amsterdam, Bruxelles et Baden-Baden, les forces du Freiburger Barockorchester, René Jacobs et les chanteurs Marlis Petersen, Maximilian Schmitt, Dimitry Ivashchenko, Robin Johannsen et Johannes Weisser étaient de passage à la Philharmonie de Paris pour une version de concert (sommairement mise en espace) de Leonore – elle a été captée par Harmonia Mundi en prévision d'une publication discographique.
Jacobs est l'interprète idéal pour redonner vie à un opéra dont il saisit la modernité en mettant l'accent sur la transparence des textures, la souplesse des lignes et la variété des couleurs dont regorge la partition. Menée à un train d'enfer, la narration s'impose malgré ce tempo soutenu, Jacobs veillant à respecter les respirations tout en maintenant la tension du discours. Au jeu des différences notables entre Leonore et Fidelio que nous connaissons mieux : un trio Marzelline/Jaquino/Rocco au premier acte qui connaîtra de grandes modifications, un duo d'amour entre Marzelline et Leonore qui précède le grand air « Ach ! brich noch nicht », qui donnera naissance au fameux « Abscheulischer » à l'acte 2, l'air de Florestan, comme l'ensemble du rôle, étant abordable dans cette version initiale, alors que le duo « O namenlose Freude » est plus développé.

Marlis Petersen (Leonore) © Yannis Mavropoulos
 
Dans le rôle-titre, la voix claire de la colorature Marlis Petersen (une Lulu, une Zerbinetta, une Donna Anna...) semble mal calibrée, au premier acte tout du moins, par rapport aux exigences du registre et l'on redoute un instant qu'elle ne réitère le naufrage rencontré par Gundula Janowitz dans la décevante intégrale de Fidelio dirigée par Bernstein pour DG en 1978. Son format vocal est cependant celui qui convient à l'héroïne, comme en témoigne sa facilité à alléger le timbre pour atteindre le haut du registre et soutenir les zones les plus extrêmes, émaillées d'aigus.
 Le ténor Maximilian Schmitt lui donne une assez bonne réplique avec un Florestan au chant soigné et expressif et Dimitry Ivashchenko livre une superbe interprétation de Rocco portée par un instrument aux graves chaleureux. Robin Johannsen malgré de louables efforts est sur-employée en Marzelline, mais son charme opère, aux côtés de l'honnête Jaquino de Johannes Chum. Moins inhumain vocalement que dans Fidelio, Don Pizarro ne tombe pas exactement dans la voix un peu courte de Johannes Weisser, mais le baryton s’accroche et ne démérite pas, Tarek Nazmi ne faisant qu'une bouchée de Don Fernando, entouré du très précieux concours des choristes de la Zürcher Sing-Akademie, embrasés dans un Finale sur lequel reviendra pourtant Beethoven, mais qui porte déjà sa marque.

François Lesueur

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Beethoven : Leonore (version 1805) – Paris, Philharmonie de Paris (Grande Salle),  7 novembre 2017

Photo René Jacobs © Molina Visuals pour Harmonia Mundi

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