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Rencontre avec Brice Pauset - Compositeur pratiquant

Depuis dix ans, Brice Pauset (photo) est compositeur en résidence à l’Opéra de Dijon ; une résidence ponctuée de créations, mais au cours de laquelle il s’est aussi présenté comme interprète – au clavecin – et impliqué dans de nombreuses actions de médiation, en particulier à destination des publics scolaires. Le 12 février prochain, son opéra Strafen (Les Châtiments), d’après Kafka, sera donné en création dans une mise en scène de David Lescot et sous la direction de l’excellent Emilio Pomarico
 
© Gilles Abegg - Opéra de Dijon

Pour Brice Pauset, la composition s’envisage comme une pratique. Chaque œuvre – près d’une centaine de pièces à ce jour – pose la question de la représentation par la musique. Chacune est donc, à sa façon, dramatique – ou dialectique. Nul besoin pour cela de texte ou de programme. Ainsi le compositeur, né en 1965, a-t-il donné le titre (ou le sous-titre) de six symphonies à six de ses œuvres, écrites entre 2001 (Symphonie I – Les Outrances nécessaires) et 2009 (Symphonie VI – Ertsarrte Schatten). L’idée de symphonie s’attache chez Brice Pauset à celle d’une topographie multiple et l’exercice de l’orchestre est pour lui l’occasion d’expérimenter l’espace sonore : les trois premières symphonies recourent à l’électronique pour créer des « lieux musicaux »,  la Symphonie IV – Der Geograph passe l’orchestre au au révélateur d’un piano soliste, la Symphonie V – Die Tänzerin explore l’idée même du mouvement, la Symphonie VI clôt cette recherche sur la représentation de la musique par elle-même. La symphonie n’est pas convoquée comme référence à une forme classique mais comme possibilité d’évocation du monde, par métaphore et par recréation.
 

© Gilles Abegg - Opéra de Dijon

La musique, pour Brice Pauset, doit « exprimer, non signifier ». Indication importante pour un compositeur qui vient donc s’attaquer à l’œuvre de Kafka pour en faire la matière d’un opéra. Kafka demande à être lu dans sa littéralité, ce que lui ont dénié souvent ses admirateurs et ses traducteurs. Milan Kundera fait de la « romantisation » de l’écriture de Kafka – un non-sens – l’un des fils conducteurs de ses Testaments trahis ; Brice Pauset revendique quant à lui le onzième commandement qu’ajoute Kafka au décalogue mosaïque : « Tu n’interprèteras point ». Quelques minutes d’entretien avec le compositeur suffisent à se convaincre que l’art lyrique a quitté ses habits du 19e siècle : c’est bien l’écriture, la langue même de Kafka qui l’intéressent, et non pas quelque variation ou paraphrase autour des héros kafkaïens. La langue tout d’abord, ce « Prager deutsch » (l’allemand parlé alors à Prague), Brice Pauset y entend un rythme, une scansion particulière, due en particulier à un appétit pour les petits mots. Ce rythme de la langue, dit-il, a largement « prédéterminé la musique », l’a orienté vers une forme de récitatif continu, à l’exception de quelques rares scènes cantabile. « C’est une langue qui se prête à la prophétie, ajoute Brice Pauset. Kafka agit en prophète sans savoir ce qu’il prophétise. J’ai vraiment pris l’injonction de Kafka au pied de la lettre : je ne cherche pas à interpréter, je laisse parler la littéralité du texte. Cela tombe bien : développer les finesses psychologiques des personnages n’est pas mon fort ». Il fait sienne l’affirmation de réalité de ses récits par Kafka. Comme eux, l’opéra est « à la lisière d‘un objet esthétique nouveau et d’une forme documentaire ».
De même que Kafka transcrit dans La Métamorphose une part de la topographie pragoise, la musique de Brice Pauset incorpore des éléments de réalité, comme des citations masquées (une musique de cabaret, des sons évoquant le paysage sonore de la ville). Parallèlement, comme pour les « prophéties » de Kafka, qui sont dans son écriture, au-delà des mots, la part d’indicible est assumée, au-delà du texte, par l’écriture musicale, les voix et l’orchestre : une métaphore, un déchiffrement du monde.

Jean-Guillaume Lebrun

Brice Pauset : Les Châtiments (création)
12, 14 et 16 février  2020
Dijon – Opéra
www.opera-dijon.fr/fr/spectacle/les-chatiments/626

Photo © Gilles Abegg - Opéa de Dijon

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