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Récital Sonya Yoncheva / Met Stars Live in Concert (Streaming) – Triple P pour la soprano bulgare – Compte-rendu

En direct de la bibliothèque de l’abbaye baroque de Bad Schussenried, dans le Bade-Wurtemberg, le Metropolitan proposait samedi 27 février un récital de Sonya Yoncheva. Celle dont les débuts new-yorkais ne remontent qu’à l’année 2013 a eu l’occasion de démontrer qu’elle pouvait (presque) tout faire, abordant les styles les plus variés à travers un programme couvrant quatre siècles de musique.

Vêtue d’une vaporeuse robe cape écarlate favorable aux effets de manche, Sonya Yoncheva attaque ce récital par un défi, puisque rien n’indique pour le moment qu’elle se destine à chanter Aida : de fait, son « Ritorna vincitor », pour être fort habilement négocié, n’en donne pas moins l’impression que le rôle se situe encore un petit cran au-dessus de ses moyens. Mais aussitôt après, l’artiste a la sagesse de revenir à ce qui constitue soit son répertoire établi, soit celui qu’elle était prête à aborder si la pandémie ne l’en avait empêchée. Leonora du Trouvère (dans lequel elle était annoncée au Met en mai 2021) la montre belcantiste accomplie, la voix se situant au point d’équilibre optimal entre l’indispensable agilité – sans devoir ralentir la moindre vocalise, comme le font certaines prétendues titulaires – et l’ampleur attendue pour ce personnage.
 

© Javier del Real

Arrive alors le premier des trois P qui marqueront le concert : Puccini, auquel on associe volontiers la soprano qui, avant de se tourner vers Tosca, a beaucoup chanté La Bohème et offre de bien beaux (et très théâtraux) adieux de Mimì. Avant que ne commence la retransmission, Peter Gelb a dévoilé quelques-uns des engagements à venir de Sonya Yoncheva au Met, parmi lesquels une série de Butterfly ; on ne s’étonnera donc pas que figure au programme « Un bel dì vedremo », très engagé, ainsi que, beaucoup plus original, « Se come voi piccina io fossi » extrait de Le Villi, interprété un bouquet de roses rouges à la main. Autrement dit, la chose est claire : Puccini, Yoncheva maîtrise.

Le récital étant divisé en trois blocs de quatre airs, la première partie s’était conclue avec une interprétation sensible de la chanson à la lune de Rusalka, autre œuvre dans laquelle la soprano aurait dû faire ses débuts, également à New York, en mars 2021. La deuxième partie vient rappeler que Sonya Yoncheva a longtemps pratiqué le baroque, et qu’elle est l’une des rares à pouvoir se targuer d’alterner Otello au Met et Le Couronnement de Poppée à Salzbourg sous la direction de William Christie. Autrement dit, le baroque, Yoncheva connaît, et elle le prouve avec le deuxième P de la soirée : Purcell et une déchirante mort de Didon. La soprano poursuit dans cette veine avec « Lascia ch’io pianga », où il semble que l’on s’éloigne un peu des interprétations « historiquement informées ».
 

Julien Quentin © julienquentin.com

Le dernier volet du concert est chanté en français, la soprano bulgare ayant beaucoup travaillé dans notre pays à ses débuts (et c’est dans notre langue qu’elle devrait chanter, en février 2022, dans Don Carlos que le Met montera pour la première fois dans la version originale de 1867). Si Manon lui convient à merveille, on s’avoue un peu moins convaincu par sa Thaïs, personnage pourtant abordé à Moscou dès 2012 et retrouvé à Salzbourg en 2016 : les e muets sont souvent un écueil pour les chanteurs étrangers, comme ici pour le mot « éternellement » dans l’air du miroir. Carmen apparaît comme une concession au public, puisque l’artiste y sort de son emploi – elle fut Micaëla à Londres en 2015 – pour aborder le rôle-titre, avec une très grande liberté rythmique, flirtant avec son pianiste, l’excellent Julien Quentin, très présent tout au long de ce récital et se pliant avec brio aux différents styles visités.

Et l’on termine avec le troisième P : Piaf, dont Sonya Yoncheva chante l’ « Hymne à l’amour », d’une voix très opératique, distillant avec distinction des paroles comme « Je me fous du monde entier ». Sans doute une façon aussi de nous préparer à son prochain disque, à paraître le 12 mars chez Sony, Rebirth, où elle propose, accompagnée par la Cappella Mediterranea, un florilège de chansons populaires couvrant cinq siècles, avec quand même un détour par l’opéra du XVIIsiècle.

Laurent Bury

Samedi 27 février 2021, streaming en direct de l’abbaye de Bad Schussenried. Disponible en replay (payant) jusqu’au 11 mars 2021 sur metstarslive.brightcove-services.com/

Photo © Gregor Hohenberg/ Sony Classical

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