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Récital de Joyce DiDonato au TCE - Les couleurs du drame - Compte-rendu

L'album-concept fait encore recette et l'on se réjouit de voir avec quelle ardeur certains artistes comme Joyce DiDonato, tout en s’appuyant sur leur maison de disques et les derniers feux du marketing, défendent contre vents et marées une certaine idée de la musique. Imaginé par la cantatrice il y a deux ans, le récital « Drama Queens » a pu voir le jour grâce au label Virgin et au chef Alan Curtis, dénicheur invétéré d'œuvres baroques oubliées. Taillés sur mesure, à l'image de la froufroutante robe rouge créée par Vivienne Westwood, portée par la protagoniste, ces airs rivalisent d’inspiration pour mettre en scène la gamme la plus étendue des drames infligés aux plus grandes souveraines ; drame de l'absence, de la jalousie ou de la trahison, de la perte ou de l'abandon, tous sont vécus par des femmes qui malgré, ou à cause de leur statut, aiment et souffrent éperdument, toujours dans l’excès et la démesure.

Pour Joyce DiDonato qui a fait sien ce répertoire brillant (au même titre que la musique de Rossini d'ailleurs !), où la vélocité la plus incandescente côtoie le dépouillement le plus absolu, Cesti, Monteverdi, Hasse et Haendel sont ses meilleurs alliés. Qu'il s'agisse d'exprimer la passion volcanique de Berenice d'Orlandini dans l'aria « Da torbida procella », où la reine se montre capable par amour pour Titus de braver toutes les tempêtes, de l'extase amoureuse d'Orontea de Cesti « Intorno all' idol mio », ou de l'humble confession d'Irene dédaignée par un mari infidèle dans « Sposa son disprezzata » tirée de Merope de Giacomelli, tout l'art de la chanteuse est mis au service de compositeurs qui traquent au plus près l'intime et révèlent avec délectation les secrets les mieux gardés.

La voix claire et radieuse de l'artiste se joue ainsi des vocalises les plus hardies et des tempi décoiffants du Complesso barocco, conduit par son premier violon Dmitry Sinkovsky, mais plus encore nous serre la gorge grâce à ce cantabile serein, à ce souffle infini et à la densité d'une interprétation fouillée et ressentie jusqu'au moindre détail, notamment pendant cet air déchirant où Iphigénie demande calmement à sa mère de l'embrasser pour mourir en paix (« Madre diletta, abbraciami » extrait d'Ifigenia in Aulide de Giovanni Porta). Mention spéciale enfin pour le sublime « Piangero » de Cleopatra de Haendel, confronté à celui de Hasse où la reine attend la mort aux côtés de Marc-Antoine, cette fois dans un déferlement de virtuosité et de cordes cinglantes.

Un peu mois d’un mois avant le passage de Joyce DiDonato à Toulouse (1) dans le même programme, ce concert parisien hautement maîtrisé (qui s'inscrivait dans le série "Les Grandes Voix" ), émaillé de pages instrumentales de Scarlatti, Vivaldi et Gluck, n'a fait que confirmer l’intensité de la relation qu'entretient la mezzo-soprano avec la capitale française. Acclamée sans fin, elle est revenue à quatre reprises, d'abord avec une autre facette de Berenice Regina di Palestina et son « Col versar barbaro sangue » où explose sa vengeance, suivi d'une rareté signée Reinhard Keiser « Lasciami piangere » extrait de Galsuinde principessa di Spagna, d'une poignante simplicité mélodique, immédiatement opposé à l'étourdissant « Brilla nel alma » issu de la Rossane haendelienne, aux suraigus gazouillants, avant de clore la soirée avec le retour du caracolant « Da torbida procella » de Berenice.
Somptueux.

François Lesueur

(1) Théâtre du Capitole, le 4 mars 2013 (20h) /www.theatre-du-capitole.fr

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 8 février 2013

Concert produit par Les grandes voix

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Photo : Josef Fischnaller
 

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