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« Pulsations » à Bordeaux – Le festival inattendu de l’Ensemble Pygmalion

Les ravages de la crise sanitaires parmi les festivals d’été ne sont plus à dire ; faute de pouvoir s’adapter à des contraintes très strictes bien des manifestations ont renoncé à se tenir cet année. Heureusement, on trouve ici et là quelques pôles de résistance, sauvés par le plein air souvent (c’est le cas de la Roque d’Anthéron), mais aussi des initiatives de la dernière heure, fruits d'une réaction à la situation que nous traversons ; on le voit avec les Concerts au Potager du Roi à Versailles ou Grand Est’ival dans les 10 départements de la région Grand Est. Ainsi en va-t-il aussi pour « Pulsations », le « festival inattendu » que Pygmalion propose à Bordeaux du 23 au 31 juillet.
 
«Début juin, j’ai ressenti le besoin de passer à l’action, de retrouver un public, de jouer, confie Raphaël Pichon (photo), mais il était indispensable de trouver un juste milieu entre pragmatisme, prudence, réalisme et confiance pour le public. » Pygmalion a noué de solides liens avec Bordeaux depuis une dizaine d’années (il y est en résidence depuis six ans) : fort de ces attaches, R. Pichon est parvenu à monter en un temps record un festival autoproduit, coréalisé avec la Ville de Bordeaux pour tous les aspects logistiques et sanitaires. Sensible à la détermination du jeune chef, la Fondation Bettencourt-Schueller a accepté de le suivre dans son entreprise et ce soutien, décisif, a eu un effet d’entraînement, favorisant l’agrégation de petits mécénats privés, mécénats de compétence et mécénats en nature (incontournable dans la vie culturelle bordelaise, la Librairie Mollat a bien évidemment répondu à l’appel). L’enjeu territorial constitue un aspect essentiel de Pulsations qui en profite pour aller à la rencontre des bordelais, en amenant la musique vivante dans des quartiers où elle n’a pas coutume de résonner, ou en la retransmettant dans les EPHAD, maisons quartiers et zones rurales.
 

Nahuel Di Pierro @ Alvaro Yanez

En plus de tous les atouts matériels réunis, R. Pichon a pu compter sur la fidélité une merveilleuse troupe de chanteurs : Sabine Devieilhe, bien évidemment, mais aussi Etienne Bazola, Renaud Bres, Geoffroy Buffière, Perrine Devillers, Nahuel Di Pierro, Lucile Richardot, Siobhan Stagg, Reinoud van Mechelen et Zachary Wilder. 
« L’idée, note le chef, était de faire naître un festival qui embrasse tout de suite les impératifs sanitaires : des formes courtes, sans entracte, dans des lieux inédits (le Cour Mably, La Base sous-marine), susceptibles d’aiguiser la curiosité du public, et des conditions toujours compatibles avec les contraintes du moment. En bref, un mélange de pragmatisme, d’inventivité et d’accessibilité, porté par la volonté de rétablir le lien avec un public invité à assister au concert en toute sérénité. »

Formes brèves, effectifs limités, certes, mais les chefs-d’œuvre sont bien au rendez-vous et ce dès la soirée inaugurale, occupée par Didon et Enée de Purcell, avec Siobhan Stagg et Nahuel Di Pierro dans les rôles-titres. Pulsations aura aussi offert à Raphaël Pichon et son équipe l’occasion d’aborder pour la première fois certaines partitions, telle La descente d’Orphée aux enfers de Charpentier. D’autres concerts marquent le retour de Pygmalion à des programmes qui ont fait sa réputation comme cette « Stravaganza d’Amore ! », beau voyage aux sources de l’opéra italien.
Les amoureux de récital vocaux trouvent aussi leur bonheur : juste après une balade dans le tango argentin avec l’éclectique Nahuel Di Pierro, Sabine Devieilhe offre un programme Strauss et Mozart. Deux jours plus tard Siohban Stagg se consacre entièrement à la mélodie française, avant de céder la place à Lucile Richardot pour du baroque italien.
 

Sabine Devieilhe © Alice de Sagazan

A l’instar des instruments à vent, les chœurs ont bien mauvaise réputation en ce moment. R. Pichon tenait pourtant absolument à proposer quelque chose en ce domaine « en transformant les contraintes en atouts ». De ce souhait est née « l’idée d’un concert dans la grande cathédrale de béton d’un des bassins de la Base sous-marine, avec une spatialisation qui va très au de-là des normes sanitaires. » A deux reprises au terme du festival on pourra se prêter une expérience sonore immersive avec 28 chanteurs dans un programme comportant des pages de Gabrieli, Schubert, Purcell, Tchaïkovski et Bruckner, mais aussi une pièce majeure de la musique chorale de XXe siècle : la Messe à double chœur de Frank Martin.
Une soirée vraiment hors du commun attend le mélomane au Bassin des Lumières. Elle le sera plus encore le soir de la clôture puisque le programme choral sera suivi d’une rencontre, là encore assez inattendue, entre des pages de Hildegard von Bingen par Sabine Devielhe et la musique électro avec le DJ Superpoze.
Gageons que ce dernier rendez-vous, comme tous ceux qui auront précédé, aura su attirer de nouveaux auditeurs à lui grâce aux nombreux avant-concerts gratuits que Pulsations propose en amont des concerts du soir.
 
Alain Cochard
(Entretien avec Raphaël Pichon réalisé le 17 juillet 2020)

Pulsations
Du 23 au 31 juillet 2020
Bordeaux – lieux divers
Programme détaillé et réservations sur : www.ensemblepygmalion.com/pulsations-festival

Photo © Piergab

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