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Portrait de Germaine Tailleferre par l’Orchestre de Chambre de Paris à la Cité de la musique – Les multiples visages d’une créatrice oubliée – Compte-rendu

 

Au pays de Encyclopédistes, on raffole des étiquettes et des boîtes de rangement ! Le rapprochement que fit le compositeur et critique Henri Collet –  dans la revue Comœdia en janvier 1920 – entre « Les Cinq Russes » et les « Six Français » a donné naissance à la formule « Groupe des Six » pour désigner Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre – Jean Cocteau se chargeant de nouer le ruban du bouquet, tout en proclamant sa passion pour Satie et Stravinski et sa détestation du debussysme et du wagnérisme.
A la vérité, le « groupe » n’était rien moins que cohérent. La proximité amicale fut un temps certes une réalité – « Société d’admiration mutuelle », a-t-on dit –, dans l’effervescence d’un Paris aspirant à oublier les affres de la guerre. Un temps seulement : dès 1921, on passa de six à cinq, Louis Durey, l’aîné de la bande (né en 1888), prenant alors ses distances, et l’on ne tarda guère à comprendre que d’unité esthétique entre ces musiciens il n’y avait point, chacun préférant explorer sa voie.
 
Germaine Tailleferre en 1937 © wikimedia

Poulenc est celui dont on connaît le mieux la production (avoir écrit l’un des opéras les plus géniaux de la seconde moitié du XXe siècle aide il est vrai ...) ; les noms de Milhaud et Honegger sont célèbres grâce à un tout petit nombre de partitions – autant dire qu’on méconnaît largement ces créateurs – ; quant à Auric et Germaine Tailleferre, tout ou presque reste à redécouvrir ...
Unique femme parmi les Six, Germaine Tailleferre – née Taillefesse – (1892-1983) a retenu l’attention de l’Orchestre de Chambre de Paris pour une soirée mise en espace par Chloé Lechat et menée par Chloé Dufresne, qui aura permis au public de faire plus ample connaissance avec la compositrice – la voix de la récitante, Dominique Reymond, se mêlant à celle de l’artiste (des documents issus des archives de l’Ina, d’une drôlerie irrésistible parfois). Quelques imperfections, quelques lenteurs dans les enchaînements certes (pas simple il est vrai d’opérer sur un aussi vaste plateau ...), mais le résultat s’avère toutefois attachant et instructif.
 

Marie Perbost © Joachim Bertrand
 
En l’espace d’une heure et demie, le survol d’une vie s’effectue, ponctué de détails biographiques, d’anecdotes et de musique, de Tailleferre et de contemporains. A ce propos – c’est le reproche que nous ferons à un programme bien pensé sinon – , on regrette que quinze minutes aient été prises pour le « Dumbarton Oaks » Concerto. Navré envers les stravinskiolâtres : de ce fruit à coque, l’amande de l’Allegretto eût amplement suffi. Il nous a hélas été servi en entier, choix quelque peu plombant. Et la merveilleuse Chloé Dufresne n’y pouvait strictement rien changer : que l’on aurait préféré l’entendre dans l’intégralité des Trois Rag-caprices de Milhaud, le premier ouvrant le concert avec punch, sous une battue d’une remarquable netteté ; dans la totalité de la Sinfonietta de Poulenc, dont elle a rêveusement distillé l’Andante cantabile ;  ou encore dans des extraits des savoureux opéras radiophoniques de Tailleferre (on a juste entendu la brève ouverture du Bel Ambitieux).
 
 © Joachim Bertrand

Souffrante, Marie Perbost a préféré être prudente et renoncer à interpréter le très exposé Concerto pour voix « de la fidélité », mais la chanteuse a comblé l’auditeur dans Soupir, n° 1 des Trois Poèmes de Mallarmé de Ravel, ou dans la très jazzy Rue Chagrin de Tailleferre, avec Théo Fouchenneret au piano, qui faisait écho de manière émouvante à un moment difficile de la vie sentimentale de l’artiste.
Dans le registre intimiste, toujours avec Fouchenneret au clavier (ce qui s’appelle un accompagnement de grand luxe ...), la clarinette de Florent Pujuila a déployé avec un étreignant lyrisme et des nuances raffinées l’Arabesque de Tailleferre, de couleur très poulencquienne. L’un des multiples visages d’une créatrice dont Valeria Kafelnikov, membre de l’OCP, a pour sa part offert une belle interprétation du Concerto pour harpe (de 1927), tour à tour mystérieuse, tendre et volubile, portée par une direction vivante et délicate.
 

© Joachim Bertrand

Pas de Concerto pour voix pour Marie Perbost hélas ; sachons gré à Emy Gazeilles de l'avoir appris en un temps record et fait face à une redoutable partie, permettant au programme, de structure très biographique, de s’achever comme prévu sur l’une de toutes dernières réalisations (1982) de la compositrice. Une heureuse initiative, et qui n’a pu que donner envie au public de mieux connaître l’art, profondément français, de Germaine Tailleferre. Pari gagné ! Pourquoi ne pas renouveler l'expérience avec Auric ? Il y aurait amplement matière ...
 
Alain Cochard

Paris, Cité de la musique, 26 janvier 2023
 
Photo © Joachim Bertrand

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