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Portrait baroque - Résurrection pour Zelenka, le Bach tchèque

Après Ambronay en 2006 et Sablé en 2008, c’est au tour du Festival de Sully-sur-Loire de célébrer cette année le Bach tchèque, avec un concert en l’église Saint-Germain, le 13 juin, confié au Collegium 1704. S’agissant d’une mise en regard Pergolèse-Zelenka dont les mélomanes attendent beaucoup, la plainte mariale du Stabat Mater du premier y étant confrontée aux Répons de la Semaine Sainte ZWV 55 du second, dont le dolorisme vrillant plut tant à la cour viennoise de Joseph II, au Siècle des Lumières. On souhaite un vrai succès à ces militants de la foi baroque qui, la veille, auront revisité en la cathédrale d’Orléans La Rezurrezione, premier oratorio sacré, en langue italienne, du jeune Haendel, à l’aube de sa foisonnante carrière européenne. Mais d'abord quelques points d'histoire.

En prélude à la riche floraison de compositeurs qui valut à la Bohême le nom flatteur de « Conservatoire de l’Europe », Jan Dismas Zelenka (1679-1745) fut bien cet éveilleur qui donna comme une conscience nationale à l’école tchèque, à travers une œuvre imposante (3 oratorios, au moins 20 messes, trois douzaines de cantates, 18 motets a cappella, des psaumes, des offertoires, des vêpres, des airs, etc.), mais terriblement éprouvée par les bombardements qui détruisirent quasiment la ville de Dresde – autrefois l’«Athènes du Nord»- dans les derniers mois de la seconde guerre mondiale.

D’abord élève des Jésuites au fameux Clementinum de Prague, ce catholique fervent, aîné d’une famille de huit enfants dont le père était organiste, occupa un premier emploi au service du Comte Hartig (1709-1710), avant de compléter sa formation à la cour protestante de Dresde (où il était contrebassiste de l’orchestre royal), puis à Vienne, auprès de Johann Joseph Fux, et enfin à Venise, où il reçut les leçons d’Antonio Lotti. Revenu à Dresde en 1719, il fit un nouveau voyage à Prague pour les cérémonies qui y marquèrent le couronnement de Charles VI comme roi de Bohême ; cérémonies où son « Mélodrama de Sancto Wenceslao » Sub olea pacis et palma virtutis, pompeuse pièce jésuite à la gloire du saint patron des pays tchèques, fut représenté au Clementinum en Septembre 1723, en présence du couple impérial (les chroniques nous rapportent que le spectacle, découpé en un prologue, trois actes et un épilogue et dirigé par Zelenka en personne, exigea d’importants moyens matériels, avec de très nombreux personnages allégoriques et plus de 150 participants).

Pour autant, ses dernières années ne lui apportèrent pas la charge espérée de maître de chapelle à la cour saxonne et c’est le très médiatique Johann Adolf Hasse, époux de la cantatrice Faustina Bordoni, qui fut finalement désigné à ce poste à la mort de David Heinichen, Kappellmeister en titre, en 1729. Un échec durement ressenti par Zelenka, victime, en l’occurrence, de sa discrétion et terminant son existence dans un relatif isolement, mis à part de rares voyages à Prague.

La redécouverte d’un auteur passionnant

Fort heureusement, l’heure est aujourd’hui à la redécouverte qui, à la façon d’un puzzle, redessine le portrait d’un auteur passionnant. De nombreux documents du temps refont ainsi surface, qui ne tarissent pas de compliments sur les compositions de l’intéressé, « tout à fait comparables aux doux fruits de l’amandier », selon l’excellent violoniste Pisendel, condisciple de Zelenka à Dresde. Et d’autres témoins éminents ajoutent leurs voix à ce concert d’éloges, tel le flûtiste Johann Joachim Quantz, ami de vieille date de Jan Dismas et musicien de chambre et compositeur de cour de Frédéric II à Berlin.

Au-delà, admiré par Bach (qui fit copier l’un de ses Magnificat par son fils Wilhelm Friedemann pour une exécution à Saint-Thomas de Leipzig) comme par Telemann (qui loua ses répons a cappella), Zelenka a été reconnu de son vivant comme un maître du contrepoint, ceci sans dommage pour un rare don harmonique. Et à cet égard, on a pu écrire que, dans sa musique, la monumentalité propre à Bach s’accordait à l’efficacité dramatique et dynamique du style italien. Pour donner naissance à une manière « tchèque » qui s’affirmera, au fil des ans, tant dans sa production vocale qu’instrumentale ; ce dernier domaine suscitant un intérêt toujours plus vif chez les musicologues (on y remarque des sonates da camera en trio, une sinfonia et un concerto à 8, une ouverture en fa et des caprices, l’esprit de la suite étant dominant dans ce répertoire).

Talent singulier et sensible, Zelenka associe la simplicité à une pente expressionniste qui n’interdit pas le bonheur mélodique. Outre un décor presque champêtre, coloré de folklore, écho d’une musicalité rustique, d’autant plus savoureuse qu’elle est sans apprêts. Aussi bien, il n’est pas besoin d’ajouter qu’à cette production fortement typée, il faut des avocats motivés. Ce que permet aujourd’hui l’existence d’une interprétation où les musiciens tchèques jouent un rôle majeur. Entre autres, les Pragois du Collegium 1704 qui sont ici chez eux et font valoir un art, un style et des bonnes manières inimitables. Avec comme un son « bohémien » d’époque, toujours accordé aux progressions harmoniques de l’écriture ou à des effets homophoniques d’où l’expression sort renforcée, dynamisée. Bref, un Zelenka identitaire et inventif émerge avec eux, qui intègre dans sa diversité jusqu’aux grâces du style « galant » et s’impose à nous comme un vrai maître ; chef de file d’un Baroque tardif (le jubilant Magnificat en ré majeur, recopié par Wilhelm Friedemann Bach, ou les opulentes Messes dei Filii et dei Patris) qui va se fondre bientôt dans la sensibilité d’une ère nouvelle et ressentir, à plus d’un moment, les troubles d’une émotion, disons mozartienne (ainsi du poignant Requiem en do mineur, regorgeant de surprises harmoniques et contrapuntiques).

Roger Tellart

Photo : DR
 

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