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Pologne / 8ème Festival de Musique Sacrée de Cracovie - Jordi Savall revisite le drame albigeois - Compte-rendu


A Cracovie, le Festival de Musique Sacrée – Misteria Paschalia - vient d'afficher une belle santé pour sa 8ème édition. Preuve que les anciens pays de l'Est ont tous les atouts pour faire aussi bien que l'Occident, au culturel comme au musical. En fait, l'ancienne capitale polonaise a tutoyé l'histoire dès le Moyen Age, premier âge d'or dont témoigne un riche patrimoine architectural : église Notre-Dame, halles et beffroi, forteresse de la Barbacane, cathédrale et château royal de Wawel, etc. S'agissant, non pas d'une ville-musée, mais d'une cité bien dans notre siècle et largement ouverte à l'activisme du présent.

Précisément, Misteria Paschalia joue habilement de cette ambivalence, au long d'une programmation à dimension humaine (un concert par soirée). En tout cas, viscéralement attachés aux notions d'histoire et de mémoire, Jordi Savall et ses complices de la Capella Reial et d'Hespèrion XXI y étaient comme en leur jardin pour déplorer la « Tragédie du Royaume Oublié » ; autrement dit, l'Occitanie terre des « bons hommes » ou cathares, qu'une guerre atroce - la croisade des Albigeois - livra aux barons prédateurs du Nord, menés par Simon de Montfort. Pendant des années, les sujets du Comte de Toulouse Raymond VI seront traqués, tués, brûlés vifs pour délit d'hérésie, le catharisme, fondé sur le dualisme d'un dieu bon et d'un principe mauvais, s'opposant, bien sûr, à l'église romaine.

Donc apocalypse humaine il y eut, que l'historien et imagier Savall dénonce comme il sait si bien le faire, passant à l'acte de réparation, fort du soutien d'un concert « métissé » tel qu'il les aime depuis toujours (Occident, Arménie, Turquie, Bulgarie, Maroc, etc.).

Pourtant, le choix des oeuvres n'était pas chose aisée, car on ne trouve pratiquement aucun écho des doctrines cathares dans le répertoire des troubadours occitans et catalans de l'époque. Mais Savall contourne la difficulté en avocat obstiné des « bons hommes », n'hésitant pas à enquêter jusqu'en Bulgarie, terre nourricière de l'hérésie au temps des Bogomiles.
Sans doute, la foi cathare n'a pas laissé de liturgie en musique. Il n'empêche que l'auditeur ne peut que s'incliner devant le savoir-faire du maître d'oeuvre et ses emprunts toujours judicieux au fonds troubadouresque (Raimon de Miraval, Peire Cardenal,etc.), servis par un plateau vocal à sa dévotion (distinguons-y le chant habité de Pascal Bertin).

Et l'on n'aura garde d'oublier la stimulante virtuosité de l'instrumentarium, rehaussé d'invités insignes en l'occurrence, tel Driss El Maloumi au oud et Haig Sarikouyoumdjian à la flûte ney et au duduk. Des talents rares qui, avec tous les autres, ont contribué à faire de la soirée le plus fervent des lieux de mémoire au coeur du génocide albigeois.

Roger Tellart

Cracovie, Eglise Sainte-Catherine d’Alexandrie, 20 avril 2011

N.B. On notera, à l'intention des discophiles, l'existence du livre-disque « Le Royaume oublié » (Alia Vox), exact reflet du concert dont on vient de parler.

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Photo : Vico Chamla

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