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« Plaisirs d’amour » par Sandrine Piau et le Concert de la Loge – Rare et envoûtant – Compte-rendu

Collision entre les publics, vendredi 23 mars à la Seine Musicale ! : celui de Michel Sardou reflue en masse de la grande salle, fort irrité par l’annulation de toute dernière minute du concert, tandis que – sous l’œil de vigiles et appariteurs parfois un brin dépassés par cette copieuse pagaille – les mélomanes venus pour Sandrine Piau, Julien Chauvin et son Concert de la Loge se frayent un chemin jusqu’à la salle de concerts. Désagréable épisode, dont le souvenir va être vite effacé par la magie du programme « Plaisirs d’amour », inscrit dans la saison du Palazzetto Bru Zane, qui commence une tournée de cinq dates dans la salle boulonnaise.

Solitude, Désir, Séduction, Tendresse, Souvenir : véritables saisons du cœur que ce programme de mélodies avec orchestre, aussi judicieusement choisies qu’habilement agencées. Des pages instrumentales (Pavane de la belle au bois dormant de Ma Mère l’Oye, Danse profane pour harpe de Debussy – bravo à Aurélie Saraf ! –, Valse très lente de Massenet, Aux étoiles de Duparc, Chanson d’autrefois de Pierné et, plein de funèbres présages, le Grave de la Symphonie gothique de Godard) viennent ponctuer – et éclairer – leur enchaînement de poétiques intermèdes où Julien Chauvin (fidèle à son habitude, il dirige du violon) et ses musiciens montrent une homogénéité des cordes, une richesse de l’harmonie, une collective imagination sonore surtout, proprement envoûtantes.

© Agathe Poupeney / PhotoScene

Les célèbres Villanelle et Au Cimetière, tirées des Nuits d’été de Berlioz, sont à l’affiche mais – initiative « bruzanienne » oblige – les raretés se taillent la part du lion, ce dont on ne peut que se féliciter quand des pages d’une telle qualité résonnent. Théodore Dubois a mauvaise réputation auprès de pas mal de beaux esprits... qui n’ont sans doute jamais entendu une seule note de ses mélodies avec orchestre (17 au total). De pures merveilles, dont les trois retenues par Sandrine Piau (Promenade à l’étang, Sous le saule, Si j’ai parlé, si j’ai aimé) témoignent d’un art poétique et d’un raffinement bien éloignés de tout « académisme ». Et de quel écrin la soprano dispose-t-elle pour en distiller tout le suc ; Julien Chauvin et ses troupes accomplissent des miracles : comment ne pas donner le meilleur de son art, portée par une aussi belle et vibrante impatience, dans L’Attente ? Avec ses deux flûtes virevoltantes et immatérielles (Florian Cousin et Gabrielle Rubio), l’accompagnement des Papillons autorise la chanteuse au plus léger et tendre des envols. Dans Extase – de Saint-Saëns comme les deux précédentes – les cordes, d'une finesse et d'une douceur incroyables, apportent au chant toute leur prégnance et soulignent d’autant plus le naturel et la rayonnante simplicité de Sandrine Piau. Jamais rien de compassé ; la musique semble naître sous nos oreilles.

Il faudrait s’attarder aussi sur Ce que dit le silence de Guilmant, sur Beaux Papillons de Vierne, d’une rare force d’émotion, ou sur la troublante nostalgie de Le Poète et le Fantôme de Massenet, autant de pages dont les charmes ne demeureront pas que beaux souvenirs pour les auditeurs présents : les interprètes ont profité de leur concert à l’Arsenal de Metz (le 25 mars) pour prolonger un peu le séjour dans la cité lorraine et enregistrer l’essentiel de leur programme (pour Alpha) -  on brûle d’impatience ... Sans doute y auront-ils ajouté L’Enlèvement de Saint-Saëns et le fameux Plaisir d’amour de Martini (dans l’orchestration de Berlioz) : les deux bis d’un concert pétri de poésie

Encore trois dates pour les « Plaisirs d’amour » : Grenoble (5 avril), Essen (7 avril) – la chose mérite amplement une traversée du Rhin ! – et Caen (14 avril). Ne les ratez pas !

Alain Cochard

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Boulogne-Billancourt, Seine Musicale, 23 mars 2018
Photo © Agathe Poupeney / PhotoScene

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