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​Pierre Fouchenneret, Victor Julien-Laferrière, Audrey Vigoureux & « Jeunes Talents and Friends » au Festival de Prades 2025 – Délices chambristes – Compte rendu

 

 
Depuis la renaissance de l’Orchestre de chambre du Festival Pablo Casals en 2021, le répertoire symphonique a retrouvé sa place à Prades, mais la musique de chambre n’en demeure pas moins centrale dans la programmation conçue par Pierre Bleuse, d'une part en lien direct avec la présence dans la cité catalane des membres de l'orchestre puisque ceux-ci prennent part aux concerts de la série « Jeunes Talents ans Friends », mais aussi bien sûr grâce à la venue de nombreux musiciens invités.

 

Pierre Fouchenneret © François Brun

 
Hymne à l’esprit chambriste
 
Ainsi, au lendemain du premier concert de l’orchestre (1), a-t-on eu le bonheur de retrouver (à 19h30, horaire parfait ...) réunis sur la scène de l’Abbaye Saint-Michel de Cuxa Pierre Fouchenneret, Victor Julien-Laferrière et Audrey Vigoureux dans un programme Schubert, Beethoven, Chostakovitch et Ravel qui concluait une riche journée chambriste.
 
Vrai hymne à la musique de chambre et quintessence de l’esprit d’un genre que le Notturno op. 148 de Schubert par lequel les trois instrumentistes ouvrent le concert, surtout lorsqu’il prend comme ici l’allure d’une prégnante étreinte lyrique où les timbres fusionnent idéalement.
Avec le Trio en ré majeur « des Esprits », l’atmosphère change du tout au tout ; l’harmonieuse entente des interprètes va de pair avec leur capacité à pleinement assumer les rugosités, l’âpreté du discours beethovénien, à saisir son frémissement intérieur (quel Largo ...) et à traduire l’énergie vitale de la musique au cours d’une lecture dont la tension ne se relâche pas un seul instant – les deux archets peuvent il est vrai compter sur le jeu coloré, présent, mais jamais envahissant d’Audrey Vigoureux. Equilibre idéal.

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Andrey Vigoureux © François Brun

 
Un Chostakovitch méconnu
 
Dmitri Chostakovitch était encore étudiant au Conservatoire de Leningrad lorsqu’il livra son Trio en ut mineur en 1923. Avec cet Opus 8, d'un seul tenant, on est bien loin du climat terrible du Trio op. 67 de 1944 ; reste que la pièce possède un charme fou, débordante de lyrisme et de réminiscences (de musique germanique en particulier). Les interprètes s’en régalent au fil d’une lecture pleine de relief, parfaitement maîtres de l'humeur quelque peu fantasque et imprévue d’un génie en devenir.

 

Victor Julien-Laferrière © François Brun 

 
Le coup de poing Ravel 

 
Quant à celui de Ravel, il resplendit dans toute sa plénitude avec l’un des plus beaux trios de la littérature. À quel choc musical les trois musiciens nous confrontent-ils ! Rien ici d’une lecture façon « un été à Ciboure ». 1914, la guerre vient tout juste de commencer, Ravel se portera bientôt volontaire ... Rarement comme avec les interprètes réunis à Prades on aura eu affaire à une vision aussi noire. L’orfèvre des sons a les yeux ouverts ... sur l’abîme qui s’ouvre. Les interprètes le comprennent avec rage, violence et pessimisme radical (la Passacaille !). Vrai coup de poing d’émotion qu’une interprétation qui, par-delà le pittoresque basque cher à certains dictionnaires des œuvres, ose entendre ce qu’il faut entendre dans le tréfonds de la musique. Exceptionnel.

 

Alara Hekimoglu, Margarita Pavolova & Cassandra Teissedre © François Brun 

 
Du rare à Catllar
 
En bis, le merveilleux In der Nacht, n°4 du Spanisches Liederspiel op. 74 de Schumann conclut une journée chambriste particulièrement riche puisque, dès 11h du matin dans la belle église du petit village de Catllar – 700 et quelques âmes – on avait pu assister au tout premier concert de « Jeunes Talents and Friends ». S’il arrive parfois que des aînés, issus du Quatuor Dutilleux ou du Klarthe Quintet, s’associent à leurs jeunes collègues au cours de cette série, le concert du 30 juillet est pour eux, tout entier. On ne saurait mieux signifier qu'ils sont considérés comme des artistes à part entière au Festival Pablo Casals.
Des partitions plus que rares signées Dvořák, Kodály, Bartók et Berio, de jeunes interprètes aux noms inconnus – pour le moment ... Pas curieux le public ? Une église pleine à craquer bouscule en tout cas bien des a priori.
 
Alara Hekimoglu, Margarita Pavlova et Cassandra Tesseidre ouvrent le ban avec le Terzetto pour deux violons et alto op. 74 de Dvořák. Un parfait exemple de Hausmusik dont les trois jeunes femmes saisissent l’esprit dans une approche toute de complicité et de lyrisme amical, et d’une intelligente variété dans le déroulement du thème et variations conclusif.
 

Guillaume Apvrille, Hanna Grozik & Barbara Kammer © François Brun

 
Un Kodály génial et méconnu
 
La Sérénade pour deux violons et alto op. 12 de Zoltan Kodály est bien rare dans les programmes – tout comme plus généralement le compositeur hongrois, très sous-estimé. De 1919-1920, c’est pourtant un pur chef-d’œuvre de la musique de chambre du début du dernier siècle avec en particulier un magique épisode central aux allures de musique nocturne.
La pièce revient aux violons de Guillaume Apvrille et Hanna Grozik dont le jeu intense s'associe à la sonorité incroyablement profonde de l'altiste Barbara Kammer (digne de celui qui tenait la partie lors de la création salzbourgeoise de 1922 : Paul Hindemith), pour une interprétation d’une densité poétique et d’une saveur populaire transcendée proprement irrésistibles.

 

Joachim Bouillier & Charlotte Bernhard © François Brun 

Deux dimensions qui font aussi la réussite de la sélection de Duos à deux violons de Bartók et Luciano Berio que les non moins excellents Joachim Bouillier et Charlotte Bernhard offrent en conclusion. Ce avec un sens des caractères, une saveur, une imagination sonore et une vivacité dans l’échange qui stimulent l’esprit et – il est 12h20 – ouvrent l’appétit !
 
Alain Cochard
 

(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/gautier-capucon-et-pierre-bleuse-au-festival-pablo-casals-2025-un-regard-singulier-compte

Festival de Prades Pablo Casals 2025 / Eglise de Catllar, Abbaye Saint-Michel de Cuxa, 31 juillet 2025 / Jusqu'au 8 août : prades-festival-casals.com/

Photo © François Brun 

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