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Pierre Bleuse et le Lemanic Modern Ensemble inaugurent le Festival Présences 2022 / Tristan Murail – Quand la musique se fait paysage ... - Compte-rendu

Affluence des grands soirs au Studio 104 de la Maison de la Radio pour le premier concert du festival Présences ! Le programme, pourtant exigeant, allie deux pages compositeur honoré par cette édition du festival, Tristan Murail, en regard d’une pièce de la compositrice australienne d’origine chinoise Liza Lim et d’une œuvre du vétéran Hugues Dufourt.
 
La formation suisse Lemanic Modern Ensemble officie, sous la direction de son bouillant chef titulaire Pierre Bleuse (photo). En création française, Speak, be silent de Liza Lim (née en 1966) déploie une manière de concerto pour violon qui puise son inspiration chez le poète mystique et soufi persan Jalaluddin Rumi (XIIIsiècle). L’œuvre, créée en 2015, adopte une forme classique en trois mouvements où toutefois le violon soliste dialogue de son côté plus qu’il ne s’associe dans l’ensemble. Ce violon se fait discursif, presque parcellaire, davantage que virtuose, sous l’archet parfaitement maîtrisé de Diana Tishchenko, entrecoupé d’interventions orchestrales plus incisives. Le langage correspond à la référence de son inspiration, qui entend reprendre des codes asiatiques ou de l’art des Aborigènes d’Australie, entre frénésie et mélancolie. Une œuvre personnelle et attachante à plus d’un titre.
 
La Horde d’après Max Ernst d’Hugues Dufourt (né en 1943) constitue pour sa part une création mondiale, commande de Radio France et du Lemanic Modern Ensemble. L’œuvre développe une sonorité tumultueuse, dans l’esprit des compositions picturales véhémentes de la série La Horde de Max Ernst, avec appels aux techniques de frottages et de grattages (qui étaient déjà celles de Ernst), en sons forcés ou bruités par des instruments souvent pris à rebours. Un dépaysement musical et d’inaccoutumance dans le panorama de la musique dite contemporaine, et une manière de chef-d’œuvre.
 

Tristan Murail © Colin Samuels

Le début et la clôture du concert laissent place à Tristan Murail (né en 1947), comme de juste. Near Death Experience constitue la création française d’une œuvre datée de 2017. Composée d’après L’Île des morts de Böcklin – peinture qui inspira Serge Rachmaninov en 1909 – elle s’accompagne d’images sur grand écran qui défilent une excursion sur les contreforts d’une citadelle provençale. Musique en forme de paysage, chatoyante, colorée, dans cette matière spectrale dont Murail est l’un des vibrants représentants.
Liber Fulguralis (2008), retrouve les images sur écran, élaborées en collaboration entre Murail et Hervé Bailly-Basin, en forme d’éclats de foudre. La musique répond dans une même inspiration, orageuse, volcanique, soutenue d’électroacoustique (réalisation informatique musicale de Philippe Moënne-Loccoz), à l’instar de ses images, dans un temps étiré qui est le propre de la musique spectrale.
 
Dans ces quatre pages différentes mais apparentées, l’orchestre palpite ou s’emporte, sous la battue intensément investie de Pierre Bleuse. De Dufourt à Murail, en passant par Lim, un panorama varié de la musique spectrale et de sa mise en valeur du son, restitués de manière la plus parlante et comme autant de promesses de l’alléchante série de concerts du festival.
 

 

Claude Samuel © Guy Vivien

À noter, en prélude à ce concert, l’inauguration dans l’Agora de la Maison de la Radio de l’exposition « Les Sept Vies de Claude Samuel ». Ou un échantillonnage, à l’appui de documents personnels, de l’activité florissante comme auteur, conférencier, journaliste, organisateur de festivals de musique contemporaine (le Festival de Royan et le Festival Présences, qu’il avait fondé en 1991), pédagogue, homme de radio et ancien directeur de la musique à Radio France (de 1990 à 1996), de cette personnalité phare de la musique (né en 1931, disparu en 2020), ami des compositeurs importants de son temps, de Boulez à Xenakis.(1)
 
Le Festival se prolonge jusqu’au 13 février, avec divers programmes pour ensemble ou orchestre. On relève aussi, le 12 février en fin d’après-midi, un très séduisant récital de François-Frédéric Guy (2) qui, sous un titre-clin d’œil à Monet – « Impression, soleil levant » – mêle des pages de Claude Debussy et Tristan Murail (dont deux créations mondiales pour ce dernier : Impression, soleil levant et Le Misanthrope).
 
Pierre-René Serna

Paris, Studio 104 de la Maison de la Radio, 8 février 2022.
 
(1) Iannis Xenakis auquel le Musée de la musique de la Philharmonie consacre une passionnante exposition du 10 avril au 26 juin pour le centenaire de sa naissance :
"Révolutions Xenakis" philharmoniedeparis.fr/fr/activite/exposition/24162-revolutions-xenakis  

(1) Programme dont un disque, intitulé « Révolutions », à paraître le 4 mars chez La Dolce Volta (LDV 110), se fera l’écho / bit.ly/3rDxckP

Festival Présences jusqu’au 13 février : www.maisondelaradioetdelamusique.fr/festival-presences-2022-tristan-murail
 
Photo © Ulystrator

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