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Philippe Jordan et Daniele Gatti dirigent le Requiem de Verdi - Les messes sont dites- Compte-rendu

Paris, comme la plupart des capitales européennes commémore Verdi. Etait-il nécessaire de programmer le Requiem à deux reprises durant la même semaine ? Rien de moins sûr, mais ne cherchons pas la polémique et comparons plutôt ces deux concerts. 

A la Bastille la direction ample et sanguine de Philippe Jordan, avec ici et là de petites fluctuations de tempo, une certaine propension à la démesure sonore et des pauses très - trop - prolongées entre chaque section, sort vainqueur par rapport à celle de Daniele Gatti, plus incarnée, plus réfléchie, mais qui pêche par l'absence de cohésion générale, de fusion entre les membres de l'Orchestre National de France réunis sur le plateau du TCE. Le chef italien n'en est pourtant pas à son premier Requiem. Dès les accords initiaux il sait installer un cadre dépouillé, toucher l'auditoire par une douloureuse mélancolie et imposer une atmosphère de recueillement, de belle facture. Malgré le calme qui se dégage de sa direction posée, on relève très vite de fréquents dérapages (traits de trompettes intempestifs, départs incertains), des instruments aux couleurs granitiques mal fondues, des harmonies qui semblent se chevaucher au lieu de s'unir ; éléments prémonitoires qui conduisent à la confusion durant le complexe Sanctus dont la mise en place aurait mérité une préparation plus rigoureuse. Là où la baguette de Jordan se laisse par moments emporter par le souffle verdien - mais comment y résister ? - Gatti laisse parfois filer le discours et le flux musical, n'empoignant son orchestre que pour le faire rugir à chaque « Dies irae », sans pour autant montrer la même passion et la même adéquation esthétique que celle partagée tout au long de cette longue fresque par Jordan et l’Orchestre de l’Opéra de Paris. 

Si les contrastes et les nuances sont nécessaires, on comprend mal pourquoi Gatti demande à ses solistes de ralentir de façon appuyée certaines fins de phrases au point d'en dénaturer le tempo et d'en affaiblir la portée musicale. Un défaut que l'on ne retrouve pas chez le directeur musical de l'Opéra de Paris, qui veille à caractériser chaque partie, en souligne l'aspect rituel et accompagne ses solistes avec une grande sensibilité. Le Chœur de Radio France s'impose d’emblée chez Gatti avec ses murmures angoissés, martelés avec obstination, mais plus loin les voix féminines ne sont pas suffisamment homogènes, tandis que chez Jordan les choristes triomphent par leur unité et leur puissance, préparés avec soin par Patrick-Marie Aubert. 

La distribution enfin s’avère supérieure sous la conduite de Jordan à la Bastille, malgré Kristin Lewis, voix longue et vaguement fauve, mais totalement inexpressive, le contraire de la jeune inconnue venue se substituer à Barbara Frittoli au TCE, Julianna Di Giacomo, qui surprend par la couleur claire et soutenue de son timbre, la vaillance de son aigu et le poids de ses paroles, du Salva me au Libera me, traversés par l'effroi ou la fragilité face à la mort. Piotr Beczala enchante de sa voix ductile, fraîche et d'un beau lyrisme, là où le ténor Fabio Sartori, chez Gatti, donne libre cours à ses travers et claironne sans limite. Ildar Abdrazakov se montre une nouvelle fois splendide de puissance contrôlée, de style et de legato sous les ordres de Jordan, quand Matti Salminen, au TCE, n'est plus que l'ombre de l'immense basse qu'il fut pendant plusieurs décennies. Après une difficile Gioconda, Violeta Urmana qui tente une reconversion vers son mezzo d'origine, offre une prestation de qualité, solide et bien chantante à la Bastille, tandis que Sonia Ganassi ne fait qu'illusion, sa consœur américaine Julianna Di Giacomo(1) lui volant la vedette.

Deux hommages consécutifs sincères, à saluer, même si Toscanini, de Sabata, Giulini, Abbado et Muti demeurent pour longtemps encore au Panthéon de l'Histoire de la Musique.

François Lesueur

(1) Julianna Di Giacomo a interprété en début de concert de « L'Ave Maria » extrait d'Otello à la mémoire d’Henri Dutilleux.

Paris, 10 Juin (Opéra Bastille ; P. Jordan) & 16 juin (TCE ; D. Gatti) 2013

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Photo : DR
 

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