Journal

Phèdre de Jean-Baptiste Lemoyne au Théâtre de Caen – Poignante nudité – Compte-rendu

Créée au château de Fontainebleau le 26 octobre 1786 (1), Phèdre, tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lemoyne (1751-1796), méritait une résurrection tant l’œuvre en trois actes adaptée de la pièce de Racine par le jeune François-Benoît Hoffmann (le futur librettiste de la Médée de Cherubini) est porteuse, malgré son moule néoclassique, d’un préromantisme dont Berlioz fera son miel.

Julien Chauvin © DR

Monté à l’initiative du Palazzetto Bru Zane, en coréalisation avec le théâtre de Caen et celui des Bouffes du Nord, l’ouvrage est donné dans une version adaptée par Benoît Dratwicki pour dix musiciens – selon l’usage en cours à l’époque – et possède sous la conduite énergique de Julien Chauvin (à la fois premier violon et chef du Concert de la Loge) une expressivité et des accents où l’engagement le dispute à l’urgence. On sent dans sa détermination la volonté de redonner vie à une partition injustement oubliée.
 
La mise en scène de Marc Paquien – dans une scénographie dépouillée d’Emmanuel Clolus réduite à la figuration d’un palais éclairé par les subtiles lumières de Dominique Bruguière – met les musiciens et les quatre protagonistes du drame au centre de l’action. D’entrée, dans la pénombre, les instrumentistes pénètrent sur un plateau vide de forme carrée, puis s’installent dans des cases en damier autour desquelles les chanteurs, vêtus de costumes chatoyants (signés Claire Risterucci), évoluent en totale osmose.

Engerrand de Hys ( Hippolyte) & Thomas Dolié ( Thésée) © Gregory Forestier
 
Musique et théâtre se rejoignent et prennent tout leur sens. La violence et les signes du destin sont sans cesse présents : armé d’un couteau, Hippolyte parcourt la scène durant l’ouverture, préfigurant les affres à venir dans un huis clos d’une intensité poignante avec une prégnante progression dans la souffrance.
La Phèdre de la Néerlandaise Judith Van Wanroij (photo) – qui s’était déjà illustrée l’an dernier dans le rôle-titre de l’Orfeo de Rossi – brûle les planches jusqu’au dénouement final par la vaillance de ses aigus, des graves mordorés et une puissance d’intonation qui culmine à l’acte III au moment du duo avec sa confidente Œnone, magnifique Diana Axentii d’une émotion palpable.

Les hommes ne sont pas en reste : l’Hippolyte d’Enguerrand de Hys s’impose avec un timbre de velours, tandis que Thomas Dolié en roi Thésée crève l’écran par son incarnation et surtout l’ampleur d’un chant qui emplit la salle du théâtre de Caen. Au moment de la scène finale, l’émotion est à son comble dans une obscurité où le silence se fait étouffant. Plus qu’un retour à l’antique, une révélation dont on ne sort pas indemne. D’ici peu, on pourra découvrir Phèdre à Paris lors de trois représentations inscrites dans le cadre du Festival Bru Zane.
 
Michel Le Naour

logo signature article

(1) Les Archives du Siècle Romantique (n° 7) sont consacrées à la création de Phèdre relatée par Antoine Dauvergne : www.concertclassic.com/article/les-archives-du-siecle-romantique-ndeg-7-phedre-de-lemoyne-travers-la-correspondance
 
Lemoyne : Phèdre - Caen, Théâtre, 27 avril ; prochaines représentations les 9, 10 et 11 juin 2017, dans le cadre du 5ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris / www.bru-zane.com/2016/?page_id=17680&lang=fr
 
Photo © Grégory Forestier

Partager par emailImprimer

Derniers articles