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Peter Grimes inaugure l’Opéra Grand Avignon rénové – Mortelle rumeur et vrai succès — Compte-rendu

Frédéric Roels, le directeur d’Opéra Grand Avignon, ne manque pas d’audace. Il aurait pu, pour la réouverture de l’établissement après quatre années de travaux consacrés à une intéressante restauration, programmer Verdi, Puccini ou encore Bizet. Histoire de brosser le grand public dans le sens du poil. Que nenni ! C’est le Peter Grimes de Britten, jamais donné ici, qu’il a décidé de mettre l’affiche ; et comme si la gageure proposée par son choix ne suffisait par, Frédéric Roels enfonce le clou en signant la mise en scène. Une prise de risque maximale, donc, mais aussi une façon d’assumer jusqu’au bout son choix ; il a bien fait.
 
Tout d’abord en proposant l’audition d’une partition extraordinaire au sens propre du terme. On sait le génie de la composition qui vit en Britten ; Peter Grimes, son premier ouvrage lyrique, en est une parfaite illustration. Dès les premières notes le drame s’installe, oppressant et omniprésent jusqu’au terme de la partition. Mais afin que cette pression puisse être tolérable, le compositeur introduit des interludes entre les scènes, respirations musicales toujours intenses et richement construites. Quelle musique !
 
© Michaël & Cédric – Studio Delestrade
 
Sous la direction de Federico Santi, l’Orchestre National Avignon-Provence s’empare de l’ouvrage avec beaucoup d’assurance. Il y a quelques jours, nous avons eu l’occasion d’entendre la formation au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence sous la baguette de sa directrice musicale Debora Waldman et juger de son importante progression qualitative. Impression largement confirmée à l’issue de la représentation de Peter Grimes. Cet orchestre a désormais une âme, de la rondeur, des couleurs et une vraie présence. La précision est au rendez-vous de tous les pupitres et la complicité entre les instrumentistes indéniable. Federico Santi mettre ces qualités à profit pour donner toute sa dimension émotionnelle à la musique de Britten.
A l’heure des fake news, donner Peter Grimes a du sens. Dans ce petit port du Suffolk, c’est l’histoire d’un homme simple, bourru, en quête d’amour et de sens pour sa vie. Un pêcheur poursuivi par la rumeur le la communauté villageoise après les décès consécutifs de deux de ses mousses et qui sera poussé au suicide par une sinistre vox populi. Coupable, Grimes ? La réponse n’est pas dans l’opéra. Mais la montée de la rumeur, qui pousse par vagues successives à l’instar de la marée, l’est, elle, allant de concert avec la progression du sentiment de culpabilité et de la folie chez Grimes.
 
Frédéric Roels et le scénographe Bruno de Lavenère installent l’action entre deux pontons. Une bâche sombre recouvre la scène en même temps qu’une barque retournée. Cette bâche est appelée, en se soulevant, à symboliser la marée et elle a aussi de vrais-faux airs d’ailes de l’ange de la mort. Au fond, le cyclo est composé d’un ciel d’orage aux couleurs changeantes, les lumières soignées de Laurent Castaingt contribuant grandement à la mise en place de l’ambiance et à la beauté esthétique de certaines scènes. Dans cet environnement sombre et humide Frédéric Roels déplace la foule des villageois et la rumeur comme une marée laissant Peter Grimes et Ellen face à leur sort une fois le ressac écoulé. Plutôt réussi.
 
© Michaël & Cédric – Studio Delestrade

Pour servir un tel propos, il fallait une distribution solide, sensible et homogène ; Frédéric Roels a su la réunir. S’il impose son physique impressionnant, Uwe Stickert sait aussi mettre en avant le désarroi et l’aspiration à l’amour de Peter Grimes. Il est un vrai ténor dramatique avec d’indéniables qualités de projection et de précision dans les aigus. Par sa seule présence scénique et vocale le chanteur allemand a contribué pour une bonne part à l'impact de cette production avignonaise. Quel bonheur de retrouver à ses côtés Ludivine Gombert, la soprano avignonnaise, en Ellen Orford. Elle incarne la douceur et la bienveillance avec aisance et assure vocalement grâce à une ligne de chant très pure, franche et puissante ; de la rondeur et de la couleur lui permettent d’atteindre un niveau émotionnel remarquable.
Belle puissance vocale pour Balstrode incarné par Robert Brok et beaucoup de chaleur et de rondeur dans la voix de Cornelia Oncioiu, Auntie, « La tantine ». Un grand coup de cœur, aussi, pour Charlotte Bonnet dans le rôle de la première nièce. Voix assurée, limpide et opulente complément direct parfait de celle plus aigue de Judith Fa qui joue et chante la deuxième nièce. Un mot, enfin, pour Svetlana Lifar, voix sombre et ronde, qui incarne Mrs Sedley, avec le côté désagréable qui incombe à son rôle de commère.
A leurs côtés, le reste de la distribution est d’une belle homogénéité et mérite largement d’être associé au succès obtenu par cette production qui n’aurait pas été ce qu’elle fut sans la participation des chœurs idéalement préparés de l’Opéra Grand Avignon renforcés par ceux de Montpellier.

Une réouverture idéale pour un opéra auquel on souhaite de vivre désormais beaucoup de moments aussi intenses et réussis que ce Peter Grimes.

 
Michel Egéa

Britten : Peter Grimes - Opéra Grand Avignon, dimanche 17 octobre 2021 -  operagrandavignon.fr
 
 
Photos © Michaël & Cédric – Studio Delestrade

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