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Périgueux - Compte-rendu : Festival Sinfonia en Périgord, le pré carré des baroqueux


A Sinfonia en Périgord, le Baroque est comme nulle part ailleurs en liberté. Liberté dans les répertoires et, tout autant, dans les échanges entre musiques savantes et populaires.

Bien évidemment, le savoir-faire des interprètes est déterminant dans la réussite de ces alchimies délicates. Savoir-faire dont l’ensemble Arpeggiata est coutumier, qui, sous la conduite de la très avisée Christina Pluhar (photo), imaginait une émouvante « Passion latine », au temps de la révolution monodique et de la naissance de l’opéra, au début du Seicento.

Deux traits caractérisent la démarche de ce remarquable collectif international. D’une part, une recherche très appuyée sur la résurrection du recitar cantando : ce « parler en musique » inventé à Florence par la Camerata et démarqué, en toute occasion, du rythme premier de la parole ; et, d’autre part, un travail non moins poussé sur les techniques musicales traditionnelles, le fil conducteur y étant la notion d’improvisation (all’improvviso), qu’elle soit vocale ou instrumentale.

Précisément, c’est dans ce subtil va-et-vient entre style écrit et geste oral que les acteurs de la Via Crucis présentée en l’église Saint-Etienne de Périgueux étaient à l’aise. Une vraie dramaturgie vibrait ici, que la déploration des polyphonistes corses (superbe groupe Barbara Fortuna), mêlée à la voix de l’Italie profonde (la vrillante Lucilla Galeazzi), tirait sans désemparer vers l’affliction. Sans parler des précieuses intuitions baroques de Christina Pluhar et des siens, pareillement ancrées dans la mémoire méditerranéenne ; celle-ci étendue jusqu’aux Habsbourg de Vienne, dépositaires de la dignité impériale héritée de Rome.

Puis, le soprano ailé de Nuria Rial, timbre magnétique s’il en est, prenait le relais des voix de la terre, ouvrant à l’imaginaire un vaste espace où ballets venus de Florence, variations et chaconnes sur une basse obstinée et rayonnante vocalité monteverdienne jetaient des passerelles bienvenues entre styles noble et populaire, cependant que Christina Pluhar fédérait le tout en fin stratège du métissage.

Le lendemain, nouveau rendez-vous avec l’excellence avec le concert de la Chapelle Rhénane qui, sous la direction de Benoît Haller, par ailleurs ténor motivé, opérait, si j’ose dire, un retour aux normes, encore que le thème de « la Rose des Vents » soit plus tourné vers l’évasion que vers la version musicologique. En tout cas, déjà fêtés la semaine précédente à Sablé dans un triple hommage Gabrieli-Monteverdi-Schütz, Benoît Haller et ses musiciens y étrennaient un programme exemplairement européen. Une affiche « en boucle » qui, en l’abbaye de Chancelade, haut-lieu roman, privilégiait cuivres et bois d’époque et, de Giovanni Gabrieli à Purcell, saluait tout le Gotha (ou presque) du concert du siècle. La soprano Salomé Haller, sœur de Benoît, en était la star, virtuosité et juste expression à parts égales, avant l’épilogue demandé à Monteverdi, auteur du virevoltant Ballo Volgendo Il Ciel, dithyrambe à la gloire de l’Empereur Ferdinand III (dédicataire du 8ème Livre de Madrigaux Guerriers et Amoureux) que le génie rythmique du Crémonais arrache aux conventions du genre. Sans doute aucun, l’été 2008 aura été faste pour la Chapelle alsacienne.

Roger Tellart

Périgueux, le 27 août 2008. Via Crucis, Rappresentatione della Passione di Cristo. L'Arpeggiata. Direction Christina Pluhar. Le 28 août 2008. La rose des vents. La Chapelle Rhénane. Direction Benoît Haller.

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Photo : DR

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