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​Pelléas et Mélisande par la Fondation Royaumont – Drame familial autour d’un piano à queue – Compte-rendu

Pour des raisons économiques et sanitaires, la version piano-chant de Pelléas et Mélisande présente aujourd’hui bien des attraits, outre le fait qu’elle permet à de jeunes chanteurs de ne pas avoir à affronter un orchestre entier. Dans la production signée Patrice Caurier et Moshe Leiser, destinée à tourner dans diverses villes de France, le drame de Maeterlinck se déroule intégralement dans un vaste salon où trône, côté jardin, un piano à queue. Martin Surot, dont on salue d’emblée la prestation, semble lui-même faire partie de la maisonnée, puisqu’il se lève quand paraît le vieux roi d’Allemonde et que celui-ci suit du doigt la musique dans les derniers instants de la représentation.

 
© Guillaume Castelot
Devant une grande paroi de contreplaqué percée d’une seule porte, le salon apparaît d’abord vide, et l’on ne devine, côté cour, que la moitié du canapé où est blottie Mélisande. Deux fauteuils apparaîtront au fil de la soirée, mais tout se déroulera dans ce cadre, le canapé vu de dos faisant office de fontaine des aveugles et permettant aussi la descente dans les souterrains. L’intrigue est située de nos jours ; Arkel se déplace en fauteuil roulant, et Yniold passe une partie de son temps avec des écouteurs sur les oreilles. Mais l’on remarque surtout l’attention prêtée au jeu des acteurs, comme par exemple lors de la lecture de la lettre, où Geneviève relève la tête à chaque fin de phrase comme pour guetter la réaction de son beau-père, ou dans la scène de la jalousie de Golaud, qui parvient à montrer la violence du personnage sans basculer dans l’excès ou dans le comique involontaire.
 
© Guillaume Castelot

L’intérêt de ce spectacle est aussi de faire découvrir une équipe de chanteurs en début de carrière, dont certains ont déjà pu être remarqués ici ou là. Lors du concert des lauréats CFPL rebaptisé Génération Opéra, on avait pu s’étonner que le baryton Halidou Nombre ait voulu chanter un extrait du dernier acte de Pelléas ; on comprend mieux ce choix en le voyant interpréter l’intégralité du rôle, où il se montre tout à fait convaincant et surtout émouvant, ce qui ne va pas toujours de soi pour Golaud. Entendue récemment en troisième Dame dans La Flûte enchantée à Toulouse, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur prête à Geneviève un superbe timbre grave et bénéficie en outre d’un étoffement inattendu d’un rôle ordinairement très bref, puisque les répliques du Médecin lui sont également confiées. Jusqu’ici presque uniquement entendu dans le répertoire baroque, Cyril Costanzo est un Arkel au timbre étonnamment clair, dont le grand âge se traduit par la gestuelle plus que par le chant, à l’articulation ciselée (le compliment pourrait du reste être adressé à l’ensemble de la distribution). Marthe Davost est une Mélisande sensible, dont la voix présente parfois une ressemblance troublante avec celle d’Irène Joachim, ce qui est évidemment tout à fait bienvenu.
 

© Guillaume Castelot

Après avoir été le protagoniste de l’opéra de Patrick Hersant Les Eclairs donné en création mondiale à l’Opéra Comique, Jean-Christophe Lanièce campe un Pelléas d’abord touchant dans sa gaucherie et sa réserve, peu à peu plus passionné jusqu’aux élans fougueux de l’acte IV, dont il semble maîtriser les aigus sans effort apparent. En Yniold, Cécile Madelin ne cherche pas à se fabriquer une voix d’enfant et elle a bien raison, Debussy ayant rendu son dialogue avec Golaud (qui, ici, la porte dans ses bras pendant toute la fin de la scène) suffisamment terrible pour se passer de toute afféterie.

Laurent Bury
 

Debussy : Pelléas et Mélisande, version piano-chant. Mardi 25 janvier 2022, Le Perreux, Centre des Bords de Marne ; prochaine représentation : 29 janvier 2022 au Parvis, scène nationale Tarbes-Pyrénées (bit.ly/3rRr3R1) ; reprise prévue en 2023 à Clermont-Ferrand, Vichy, Saint-Quentin-en-Yvelines…
 
Photo © Guillaume Castelot

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