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Pelléas et Mélisande à l’Opéra Bastille – Perfection - Compte-rendu

« Mon Dieu je m’ennuie » soupire un de nos plus chers confrères. Ici apparaît soudain l’anti-matière, du moins à nos yeux. S’ennuyer à Pelléas, impossible pour nous, l’œuvre nous a toujours totalement absorbé, on ne connaît pas d’opéra plus vampirique, on en sort vidé, avec le sentiment que la musique de la scène d’amour est simplement impossible, qu’elle n’existe pas, qu’on vient de la rêver encore une fois.

Mais l’ennui de notre confrère venait de l‘interprétation, stigmate de la direction lente, réflexive de Philippe Jordan qui chasse de Pelléas tout théâtre. On a assez écrit au long de ces colonnes les réserves que l’art esthétisant de ce chef, un peu vite regardé comme un prodige, nous inspire depuis plusieurs saisons. Mais devant son Pelléas mystérieux et onirique, nous rendons les armes.

Une pointe de Karajan dans la sensualité grisante des timbres, un hommage peut-être appuyé à Wagner, que Debussy, contre toute une certaine légende, n’aurait pas désapprouvé, une attention de tous les instants à ne pas couvrir le plateau, enfin une vraie beauté qui ne se limite plus au joli ou à l’anecdotique, mais trouve la ligne, délestée de son péché mignon, ce goût immodéré pour le détail, l’aparté, le morcellement.
Adieux moments, bonjour temps. Philippe Jordan se serait-il trouvé, confronté à l’écriture radicale du chef-d’œuvre de Debussy ?
On doit en tous cas souligner à quel point les musiciens de l’Opéra sont chez eux, opulents et transparents à la fois, en accord majeur avec l’art du chef. Oui, il y a bien un narcisse dans la fosse, mais il a cette fois son miroir. Tout cela aurait charmé Suarès.

La lenteur mortifère voulue par Jordan correspond exactement aux déploiements du spectacle de Wilson au point qu’on a le sentiment de le redécouvrir. Son poème visuel se glisse avec souplesse dans les portées de Debussy comme dans les caractères de Maeterlinck, même si Vincent Le Texier, emporté par son personnage, touche Yniold, transgression absolue dans cet univers où le contact entre les corps est tabou.

Tous sont enfin portés par les codes du metteur en scène, personne n’en semble contraint comme durant les reprises précédentes, certains y trouvent même leur personnage comme la Mélisande très graphique, stylisée, d’Elena Tsallagova, une prise de rôle périlleuse que la jeune émule de l’Atelier Lyrique assume avec art. On n’est pas près d’oublier sa très poétique chanson de la tour, et l’on excuse vite le timbre encore un peu pincé, l’émission pas assez fruitée, tout cela s’efface devant une mort mystérieuse, d’une troublante évidence.
Qui, sinon Stéphane Degout, incarne aujourd’hui avec autant d’intensité une certaine manière de chanter à la française ? Son Pelléas, aussi admirable soit-il, manque d’air, de soleil, de jeunesse simplement, rongé par une sorte de tristesse implacable. Mais quelle beauté dans la voix, dans le maintien, dans l’art. On sortait en se disant qu’il sera demain le Golaud de sa génération. Alors Vincent Le Texier, admirable diseur, aura passé la main, mais justement son Golaud amer, acide, dangereux, plus noir que noir, aura eu le temps de marquer à jamais les esprits. Il atteint ici à une concentration du jeu comme de la voix qu’il faut éprouver.

Parfaite Geneviève selon Anne Sofie von Otter, touchante, poétique : sa lettre est d’une simplicité absolue, modèle du genre. On ne se plaindra pas du violoncelle éperdu que Franz Josef Selig caresse tout au long de son Arkel, c’est simplement admirable, mais il suffit que Jérôme Varnier disent deux mots, en Berger ou en Médecin pour qu’immédiatement l’on soit certain qu’Arkel c’est lui. Dommage que Nicolas Joel soit allé cette fois chercher si loin l’excellence alors qu’il l’avait à la maison.
Vous l’aurez compris, reprise exemplaire ; vous devez vous y rendre.

Jean-Charles Hoffelé

Debussy : Pelléas et Mélisande
Paris, Opéra Bastille, le 28 février, puis les 2, 5, 8, 11, 14 et 16 mars 2012
www.operadeparis.fr

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Photo : Opéra national de Paris/ Ch. Leiber
 

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