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Paul / Rigal / Lock à Garnier – Morne soirée - Compte rendu

 Une soirée à la fois virtuose et inutile: et c’est grand dommage, car ni Paul, ni Rigal, ni Lock ne sont gens sans intérêt, sans parler de Benjamin Millepied, lequel avait ajouté à cette programmation prévue par Brigitte Lefèvre un délicat pas de deux pour la divine Aurélie Dupond, qui accomplit sa dernière saison et pour le bel Hervé Moreau, malheureusement accidenté in extremis, et remplacé par Marc… Moreau !
 
Brigitte Lefèvre a toujours eu la plus haute idée des capacités de Nicolas Paul, sujet depuis 2002, et le désir de lui ouvrir la scène de l’Opéra. Paul, fin et réservé, a déjà donné des preuves de son talent réfléchi, souvent porté par des musiques baroques, et joué joliment le jeu à deux, avec la tempétueuse Béatrice Massin, en 2013 pour D’ores et déjà. Ici, il reprend un peu le thème du miroir, qu’il y avait déjà exploité, mais l’austérité du propos, montrant des danseurs «  à l’écoute de leur individu », se révèle porteuse d’ennui, d’autant que le choix de pages particulièrement rocailleuses de Ligeti, notamment Trois pièces pour deux pianos, sonne comme un pilonnage et n’aide guère à pénétrer cette intimité trop éloignée de nous. Chic, intelligent certes, mais glacé. La danse ne peut pas tout dire, et la musique de Ligeti, qu’on utilise à tour de bras sur les scènes contemporaines, n’y est peut-être pas à sa place.

Pour la suite, brillant, brillantissime Pierre Rigal, dont on sait les liens avec le monde du cirque. Mais là, après un bon début, on se dit qu’il a perdu son humour. Le plateau impressionnant, le lourd appareil de l’Opéra peut-être ? La chose s’est vue souvent pour d’autres chorégraphes. Le propos, une réflexion axée sur l’idée multiple du salut, si présente dans la vie des gens de scène, est lui aussi trop complexe, trop ambigu, et quelques riches idées, comme faire démarrer la pièce sur des applaudissements enregistrés, sans parler de très beaux costumes blancs et noirs, ne parviennent pas à sauver l’œuvre, trop longue, de la plus morne indifférence. Et la musique peu affriolante de Joan Cambon n’aide pas.
 
Avec Edouard Lock, et son bizarre AndréAuria (photo), créé à l’Opéra en 2002 sur une musique de David Lang, la résistance casse, et pourtant il s’agit de la plus belle œuvre inscrite au programme, avec ses variantes infinies sur les possibilités des corps, violents, déchirés par leur propre existence. Attitudes superbes, souvent, d’une impeccable, d’une implacable plasticité, notamment lorsque Alice Renavand torture ses longues jambes. Mais le noir dans lequel baignent ces cogitations musculaires, finit à la longue par envahir le cerveau du spectateur. Dommage.
 
Heureusement, il y avait un très joli pas de deux de Benjamin Millepied, qui a permis à Aurélie Dupond de danser un peu avant ses quelques Lacs des Cygnes de la saison et ses adieux dans l’Histoire de Manon, ce printemps. Rien de majeur dans ce Together alone, sur une étude de Philip Glass, mais une bouffée d’oxygène, sur fond de mélancolie. Millepied y fait chanter doucement le lyrisme et la sensualité de la ballerine, à la fois discrète et rayonnante, et cette succession de portés subtils a donné un peu de finesse à une soirée plus qu’austère. On regrette juste que Marc Moreau, très beau danseur, ait eu si peu de temps pour intégrer le langage de Millepied, qui avait pensé sa pièce pour Hervé Moreau. On ne l’en félicite que plus.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Palais Garnier, le 3 février, prochaines représentations les 9, 13, 14, 16 et 20 février 2015. www.concertclassic.com/concert/paul-rigal-lock-garnier
 
Photo © Agathe Poupeney

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