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Paris Mozart Orchestra - L’orchestre autrement - Une interview de Claire Gibault, chef d’orchestre

Ancienne assistante de John Eliot Gardiner à l’Opéra de Lyon, puis de Claudio Abbado à l’Orchestre Mozart de Bologne, Claire Gibault est à l’origine de la création du Paris Mozart Orchestra (PMO), que l’on découvre à la Comédie Française (le 9 février) dans le mélologue Soudain dans la forêt profonde d’Amos Oz et Fabio Vacchi, avec la comédienne Julie Sicard.

Pourquoi avoir créé le Paris Mozart Orchestra ?

Claire Gibault : L’Orchestre est né en 2010 et a commencé ses activités en novembre 2011 ; nous avons donné une vingtaine de concerts entre ce moment et la fin la fin de la saison passée. Il en sera a peu près de même pour celle en cours. Le planning sera plus chargé sur 2013-2014 ; nous sommes en phase d’épanouissement. Quand on a goûté au plaisir extraordinaire de ces orchestres non permanents qu’a fondés Claudio Abbabo, avec des musiciens d’une grande homogénéité de talent, tous profondément engagés et qui ne regardent pas leur montre, des musiciens qui s’estiment les uns les autres, qui s’aiment et qui aiment leur chef, on sait combien cela favorise un climat de convivialité où tout le monde communique, partage. Quand on y a goûté, il est très difficile ensuite de retrouver le même plaisir dans ce qui est institutionnel.

J’ai participé au côté de Claudio Abbado à la création de l’Orchestre Mozart de Bologne et je m’étais dit – avec sa bénédiction d’ailleurs – que je ferais la même chose à Paris. Les membres du Paris Mozart Orchestra, sont des musiciens qui ont d’autres occupations mais qui me connaissaient et qui avaient envie de se lancer dans cette aventure. Nous sommes unis par des valeurs : j’ai pris le soin de rédiger une charte de l’orchestre (1). Il est des choses qui paraissent évidentes mais qu’il n’est pas inutile de rappeler. Les musiciens du PMO sont heureux d’être associés à un programme plus vaste que seulement musical ; un projet à la fois artistique et humain.

En plus du bonheur de faire de la musique dans ces conditions, le PMO s’assigne aussi une mission sociale et éducative…

C. G. : J’allais y venir. Je voudrais d’abord ajouter que lorsqu’on voit que Laurence Equilbey crée son orchestre, que Nathalie Stuzman a créé son orchestre, que Emmanuelle Haïm a son orchestre, il est à regretter que nous, femmes chefs d’orchestre, nous ne soyons pas invitées dans le institutions. Pour faire de la musique en France, nous sommes obligées de créer notre propre orchestre. Je suis à moment de ma vie où, ayant beaucoup dirigé dans le monde entier, j’ai envie de faire mon nid en France et d’avoir une vie amicale et musicale avec les artistes français que je connais et que j’apprécie. Cet aspect humain de l’aventure est très important. A la base, évidemment, les critères artistiques sont déterminants. Il faut qu’à chaque fois ce soient des œuvres dont j’ai envie, dont les musiciens ont envie, et que nous les fassions dans les meilleures conditions.

J’éprouve le besoin de transmettre, de partager. Il y a un déterminisme culturel très fort dans le domaine de la musique classique et, avec les musiciens du PMO, nous avons la volonté d’ouvrir les choses, de favoriser la mixité sociale du public. Ceci non seulement par besoin de transmission, mais aussi pour notre survie : regardez l’âge moyen du public de la musique classique souvent…

Nous allons jouer dans des endroits choisis par les rectorats de Versailles et de Créteil, les endroits les plus difficiles : Les Tarterêts, Le Val Fourré, Saint-Denis, etc. J’aime le dialogue avec les jeunes que nous rencontrons, dialogue qui prend très bien. Ils nous apportent une écoute, une attention, un respect, une joie très réconfortants. Ces jeunes n’ont pas l’occasion de venir à des concerts dans le centre de Paris, mais ils sont magnifiquement préparés par leurs professeurs. Le travail que nous menons avec ces derniers, en amont, est très jouissif.

Pourquoi avoir choisi un ouvrage tel que le mélologue Soudain dans la forêt profonde (texte d’Amos Oz / Musique de Fabio Vacchi) pour vous adresser aux auditoires que vous venez d’évoquer ?

C. G. : Je me suis rendu compte que, pour les projets que nous destinons à ces jeunes, il était important de trouver des œuvres qui offrent une place importante à la fois à la musique et à la littérature. L’an dernier nous avons réussi à fédérer autour de Rabelais et Jean Françaix avec Les inestimables chroniques du bon géant Gargantua, une œuvre qui nous a permis de travailler sur les correspondances entre la musique et la littérature. Cette année nous donnons une partition de Fabio Vacchi sur un texte d’Amos Oz. J’avais noué des liens avec Fabio à l’époque où nous avions créé La Station thermale, ouvrage sur un texte de Goldoni qui avait été donné avec un grand succès à l’Opéra de Lyon, à l’Opéra Comique et à la Scala. Fabio est resté un ami, Lyon a par la suite donné une autre œuvre de lui Les oiseaux de passage ; en Italie j’ai eu l’occasion de diriger certaines de ses œuvres à Florence, à Milan, à Lece. Un été, peu après avoir signé un opéra avec Amos Oz pour l’Opéra de Bari, Fabio m’a fait entendre une œuvre qu’il terminait tout juste : un mélologue. Nous avons beaucoup réfléchi ensemble sur cet art du mélologue, genre qui fonctionne très bien auprès des nouveaux publics car le texte est très compréhensible et à égalité avec la musique.

J’ai écouté l’œuvre qu’il venait de composer sur un texte d’Amos Oz, D’un trattto nel folto del bosco. Ça m’a paru très beau, l’histoire me plaisait énormément, mais c’était trop bavard pour nous Français, et trop long pour les concert du PMO. J’ai proposé à Fabio d’en réaliser une version de 50 minutes, en français. Avec Amos Oz, Michele Serra, Fabio Vacchi (et en nous servant de la traduction de Sylvie Cohen), nous avons tous ensemble travaillé pour arriver à la version que nous donnons cette saison. Cette fable, pour adultes et enfants, a été répertoriée par les ministres de l’éducation européens comme texte de référence de lutte contre les discrimination dans le milieu scolaire, pour la tolérance. C’est une très belle histoire, que l’on peut prendre au premier degré en 6ème, au troisième ou au quatrième si l’on est en Terminale. Amos Oz est un grand militant pour la paix. On ne développe évidemment pas tous les aspects politiques de son texte quand l’on est en banlieue, ce serait trop délicat ; mais cet écrivain est fédérateur.

La Comédie Française fait partie des lieux qui accueillent Soudain dans la forêt profonde (le 9 février), comme cela avait déjà été le cas pour le spectacle Rabelais/Jean Françaix la saison passée. A quoi tient le lien avec cette illustre maison ?

C. G. : A moment où je cherchais un récitant pour Rabelais, j’avais demandé à mon amie Muriel Mayette s’il y avait un sociétaire qui pourrait tourner avec nous. Elle m’avait orientée vers Eric Genovese, qui a été magnifique. Mais il n’était pas libre tout le temps et Robin Renucci a alterné avec lui : nous avons donc collaboré avec deux très grands talents ! Le rêve de Muriel Mayette, depuis longtemps, est de programmer des textes avec musique et elle m’a demandé de poursuivre cette série : après Rabelais/Français, nous donnons donc Soudain dans la forêt profonde à la Comédie Française, avec Julie Sicard. Quant aux autres lieux et dates de la tournée ils nous offrent le plaisir de travailler avec Christophe Malavoye.

Quels projets pour le PMO après Soudain dans la forêt profonde ?

C. G. : Nous prévoyons, pour des lieux tels que la prison de Fresnes, des hôpitaux, un programme beaucoup plus facile (Vivaldi, Bach, Britten, etc.), sans texte, constitué de pages musicales courtes, ce qui me laisse le temps de parler avec le public entre les morceaux. En septembre, nous commencerons la saison avec un programme Pärt/Britten pour cordes, puis nous donnerons un programme Schubert, avec la 5ème Symphonie, 6 Danses allemandes orchestrées par Webern, et, avec baryton, les lieder que Webern a également orchestrés. Quant à la création qui tournera dans les établissements scolaires la saison prochaine, elle aura été composée par Graciane Finzi autour de neuf tableaux d’Edward Hopper, sur lesquels existent des textes de Claude Esteban – qui s’est glissé dans la peau des personnages des tableaux et a écrit des choses assez amusantes.

Enfin, nous nous produirons à Pleyel, au Châtelet, mais également au Théâtre des Célestins à Lyon, où Soudain dans la forêt profonde sera repris.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 18 janvier 2013

(1) Pour en savoir plus sur le fonctionnement du Paris Mozart Orchestra : clairegibault.fr/paris-mozart-orchestra/

Amoz Oz/ Fabio Vacchi : Soudain dans la forêt profonde (mélologue pour récitant et quinze instruments)

9 février 2013 – 14h
Paris – Comédie Française

15 février – 10h 30 et 14h
Saint-Denis – Collège Jean Lurçat

19 avril 2013 – 15h
Paris – Musée du Quai Branly

21 mai 2013
Festival de l’Epau

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Photo : Amélie Tcherniak
 

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