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Paris - Compte-rendu : Yann-Pascal Tortelier : le grand souffle !

Le Déluge de Saint-Saëns, Pie Jesu de Lili Boulanger et Psaume XLVII de Forent Schmitt : le programme retenu par le Chœur de Radio France et l’Orchestre National de France dirigé par Yann Pascal Tortelier (photo ci-contre) n’était pas le plus « vendeur » qui se puisse imaginer. Et pourtant, les organisateurs ont dû refuser du monde à l’entrée de la salle Olivier Messiaen… Normal, il s’agit d’un concert gratuit (dans le cadre d’un week-end « Portes Ouvertes »), affirmeront certains. La chose n’est sûrement pas négligeable, mais le succès me paraît d’abord traduire l’immense curiosité du public pour ces aspects méconnus de la musique française du XIXe (1) et de la première moitié du XXe siècle, envers lesquels nous nous montrons trop oublieux. Faible mot lorsque l’on évoque une partition telle que Le Déluge de Saint-Saëns (1875). Sous-titré « poème biblique », cette saisissante fresque sonore dévoile un visage totalement inédit de l’auteur du Carnaval des animaux.

Quel bonheur que d’en découvrir les beautés sous la baguette de Yann-Pascal Tortelier ! L’artiste porte plus que dignement le nom de son illustre père et s’impose comme un musicien et chef de premier ordre. Qu’on aimerait l’entendre plus souvent à Paris (2), se disait-on en le découvrant à la tête d’un Orchestre National de France en état de grâce (fabuleuses interventions du violon solo de Sarah Nemtanu). Dans un ouvrage où des baguettes moins assurées verseraient vite dans le brouillon et l’emphatique, Tortelier s’est imposé par le sens du détail, la clarté d’articulation, la maîtrise des plans sonores et a su restituer le souffle immense de ce Saint-Saëns ou du Schmitt qui suivait.

Radio France fait bien les choses et avait distribué à chaque auditeur les textes des œuvres. On n’a guère eu besoin de s’y reporter… Premier à intervenir dans Le Déluge, le jeune ténor Sébastien Guèze – un talent à suivre de très près ! -, avec une classe et qualité de diction exemplaires, donnait ton. Renaud Delaigue, Isabelle Cals et Sophie Marin-Degor (pour un magnifique solo dans la 3ème partie) étaient autant à la hauteur de l’enjeu, tout comme un Chœur de Radio France superbement préparé par Michel Tranchant.

Transition vers le Psaume de Schmitt, le bref Pie Jesu de Lili Boulanger fut mené avec une irrésistible fièvre par Ingrid Perruche, par ailleurs en charge du solo du Psaume XLVII , où elle se révéla aussi convaincante. On ne triche pas dans cette partition. Il y a quelques années, lorsque le nom de Yann-Pascal Tortelier fut prononcé par des esprits avisés alors qu’il s’agissait de pourvoir à tel ou tel poste de chef à Paris, d’aucuns répondirent par une dédaigneuse moue. France, quand en finiras-tu de ton ridicule masochisme ? – on eût aimé qu’ils entendissent le chef libérer l’énergie du tellurique ouvrage Schmitt avec la complicité de musiciens et de chanteurs à l’évidence conquis et heureux... Tout comme un public qui quitta la salle un peu groggy par tant de beauté et d’énergie. Revenez-nous vite Monsieur Tortelier !

Alain Cochard
(9 avril 2006)

(1) Lundi 3 avril, à l’Opéra Comique, la fort jolie soirée Boieldieu proposée l’Orchestre Ostinato dirigée par Jean-Luc Tingaud avait elle aussi remportée un franc succès.

(2) Yann-Pascal Tortelier est depuis peu chef principal invité du Pittsburgh Symphony Orchestra.

Photo : DR

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