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Paris - Compte-rendu : Une inconnue dans la maison. Armin Jordan propose une œuvre rare

Le chef helvète avoue sans détour sa passion pour les compositeurs de la Vienne de la première moitié du XXe siècle. La saison dernière il défendait Zemlinsky aussi bien à Radio France (Une tragédie florentine et les Maeterlinck Lieder) qu’à l’Orchestre de Paris (Die Seejungfrau) ; le 3 juin, il offrait la plus que probable création parisienne de l’ultime symphonie de Franz Schmidt, la 4e, composée durant la sombre année 1933 : le compositeur perdait sa fille alors que les nazis prenaient le pouvoir. Ces catastrophes, privées comme historiques, donnèrent à l’œuvre le caractère d’un vaste requiem. Ut majeur indique la partition, mais ce majeur dérive vite vers un jeu de variations enténébré, d’un lyrisme post-brucknérien aux nostalgies insondables. Les nombreux tuilages employés par le compositeur rendent l’œuvre délicate à exécuter, mais Jordan nage avec bonheur dans cette vaste arche qui décline quatre mouvements enchaînés, en libérant toute la charge émotionnelle. Le Philharmonique, visiblement ému, se laissait guider par la direction économe, patiente, comme à l’affût des climax, de ce chef atypique qu’il aime tant.

Les services d’orchestre ont surtout profité à la découverte de Schmidt, laissant les instrumentistes trop à eux-mêmes dans le Premier Concerto pour violon de Chostakovitch, dont le Scherzo prenait l’eau de toute part : petite harmonie incertaine, entrées flottantes, Tedi Papavrami faisait ce qu’il pouvait pour retrouver les barres de mesures. Autant le versant lyrique du Concerto trouve dans son jeu élégant le gardien idéal de ses trésors de poésie nocturne, autant son archet ne mord jamais dans les épisodes sarcastiques ou morbides, au point qu’on restait sur sa faim dans une Toccata finale un peu précautionneuse, ne brûlant pas du feu qu’y mit toujours son dédicataire, David Oïstrakh.

En bis, une sonate de Scarlatti ingénieusement transcrite par le violoniste laissait voir quelques fatigues techniques, passagères probablement. On espère retrouver Papavrami à son mieux sous peu.

Jean-Charles Hoffelé

Maison de Radio France, le 3 juin.

Photo : J. Sarrat
 

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