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Paris - Compte-rendu : Une 8ème Symphonie de Bruckner à tomber par terre

Voici une de ces soirées qui vous réconcilient avec la vie et l’humanité entière ! Je parle du dernier concert de la Philharmonie de Vienne au Théâtre des Champs-Elysées où Dominique Meyer a réussi à l’acclimater, et au cours de laquelle l’extraordinaire chef allemand Christian Thielemann qu’Hugues Gall avait été le premier à inviter à Paris, a dirigé une sublime 8ème Symphonie de Bruckner dans son ultime version. La patine du son, le sentiment de facilité et d’assurance techniques ne donnent jamais l’impression de routine : une Rolls musicale peut-être, mais nerveuse et fringante comme un yearling. Bref, le rêve. Bien sûr, le colosse Thielemann ne se donne pas le ridicule de battre la mesure une seule seconde ! L’enjeu est ici d’un tout autre niveau : le chef conduit tout en souplesse un équipage qui l’a reconnu comme son égal et ils font de la musique ensemble avec un délié dans la gestique vraiment unique.

Le chef ici se fait guide, veillant aux transitions les plus subtiles dans le maintien d’un tempo garant du caractère de l’interprétation. Le résultat, c’est d’abord l’éclatante évidence de sa vision que seule permet la transparence des pupitres dont l’auditoire perçoit en permanence tous les contre-chants sans la moindre confusion acoustique. Ah ! Ces chers vieux Gaulois qui continuent imperturbablement à qualifier la musique de Bruckner de gros gâteau indigeste, ils seraient tombés du haut mal devant une telle démonstration de limpidité dans la conception générale de l’œuvre comme dans la trame des timbres toujours équilibrés avec une infinie délicatesse…oui, peut-être une « Delikatessen », mais dans ce sens-là seulement ! Pour s’en persuader, il suffisait d’écouter le dialogue proprement inouï entre les premiers violons et les cors dans l’Adagio> !

Pas de heurts, mais des vagues qui se soulèvent comme les tsunamis du cœur gros comme ça de ce génie déguisé en vieux paysan autrichien. Il rêve tout haut comme Messiaen un peu plus tard à la tribune de La Trinité, du haut de son orgue où il poursuit sa rêverie et sa contemplation du monde. Sans vouloir rien imposer, il nous fait accéder par palier à ses visions oniriques. Certes, dans cette houle symphonique, on reconnaît des parentés naturelles, et pas seulement son cher Wagner, mais aussi Richard Strauss et bientôt le premier Schoenberg : les grands chefs et les grands orchestres peuvent seuls par leur intuition pétrie de savoir, éclairer de l’intérieur ces échanges de l’un à l’autre et rendre le public intelligent. Ils ont tout de même échoué dans cette tâche à l’ultime moment de ce monument de beauté, lorsque, telle une interrogation suspendue, les dernières notes se fondent dans le silence du grand tout : alors que le chef gardait volontairement les bras étendus comme des ailes au dessus de l’orchestre, certains n’ont pas attendu la mort des notes pour applaudir bruyamment, rompant le charme comme des barbares. Le chef n’a pas apprécié. Nous non plus.

Jacques Doucelin

Théâtre des Champs-Elysées, samedi 17 mars 2007

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