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Paris - Compte-rendu : Un France-Allemagne passionnant


On se faisait une joie de retrouver Pierre Boulez et les musiciens de l'Opéra de Paris dans un programme consacré au tournant du siècle viennois cher au coeur du maestro. Las! c'était compter sans les aléas de la Grande Boutique qui n'a pu dégager que son second orchestre, nettement moins irréprochable que le premier retenu dans la fosse...L'acidité des violons n'a guère favorisé l'épanouissement du torse tragique que constitue le fameux Adagio de la 10e Symphonie de Gustav Mahler, page bouleversante qui porte les stigmates de la déconvenue éprouvée par le compositeur autrichien lorsqu'il découvrit que son épouse Alma le trompait avec l'architecte Gropius.

Si les superbes Altenberg Lieder d'Alban Berg ont bénéficié de la pureté du soprano de Laura Aikin, Boulez n'a pu déployer les sortilèges de la palette dont il joue d'habitude pour enchâsser la soliste dans les timbres instrumentaux. Surprise après l'entracte avec un Pelléas et Mélisande de Schoenberg irrésistible de beauté. Les musiciens s'étaient repris et le chef avait su leur révéler la parenté secrète de ce chef-d'oeuvre avec les poèmes symphoniques contemporains de Richard Strauss. En une petite heure, le futur père du sérialisme épuise ici la dramaturgie de Maeterlinck, qu'il sait rendre avec une acuité et une profondeur sans pareil. Triomphe mérité.

Le lendemain au même endroit, c'est le vénérable Gewandhaus de Leipzig, l'une des plus fameuses phalanges d'outre-Rhin, qui succédait à Boulez sous la baguette de son patron Riccardo Chailly (photo) qui l'a mené sur des sommets depuis 2005. Longtemps, Leipzig fut synonyme de clarté des timbres, de souplesse et de classicisme qui en faisaient l'interprète rêvé du premier romantisme allemand. En rajeunissant la formation – cela se voit au premier coup d'oeil ! -, Chailly a su préserver sa limpidité tout en lui apportant une virtuosité et une furia stupéfiantes qui en font désormais la grande rivale des principales Philharmonies germaniques.

A preuve, ce Concerto pour violon de Brahms ciselé à l'italienne, mais vif et chantant, respirant à grandes bouffées. Les magnifiques solistes de la petite harmonie dialoguent avec une jubilation partagée avec l'impressionnant violoniste qu'est Leonidas Kavakos, toujours juste et stylé, mais vibrant au souffle de la passion. Passons sur un hommage à Britten d'Arvo Pärt bien plat qui permet de vérifier les impressionnants unissons de l'orchestre, mais on s'en était déjà aperçu, pour retenir une 4e Symphonie de Tchaïkovski comme aérée, allégée, mais très cohérente dans le contraste de ses mouvements. Chailly impose son élégance jusque dans l'andante initial et fait du scherzo une vraie féérie portée par des pizzicati incroyables dans la variété de leurs attaques avant de transformer le finale en démonstration de virtuosité et de bonheur de jouer où s'affirment la cohésion et le souverain équilibre interne d'un orchestre dont on sent qu'à l'inverse de ses collègues français il n'est nullement menacé par des accès de faiblesse.

Il a fallu deux bis somptueux empruntés à la Manon Lescaut de Puccini et au Corsaire de Verdi pour calmer une salle en délire.

Jacques Doucelin

Salle Pleyel, les 6 (Boulez) et 7 (Chailly) juin 2008.

Programme détaillé de la Salle Pleyel

Photo : DR

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