Journal

Paris - Compte-rendu : Trois suicides et une marche funèbre


Pour son premier concert symphonique à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, Thomas Hengelbrock a souhaité célébrer trois figures tragiques entrées dans l’histoire pour s’être suicidées. Coriolan, général romain qui, s’avouant vaincu, préfère mettre fin à ses jours plutôt que d’affronter la colère de son armée ; Cléopâtre, reine d’Egypte qui invoque les pharaons avant de se donner la mort ; Brünnhilde enfin qui, désespérée de n’avoir pas compris que Siegfried avait été ensorcelé, choisit de se sacrifier par les flammes pour purifier le monde. Un programme à la thématique claire, où les compositeurs se suivaient logiquement, de Beethoven à Wagner, en passant par Liszt.

Après s’être fait remarquer à deux reprises par son élégante et précise direction d’Orphée et Eurydice de Gluck, chorégraphié par Pina Bausch au Palais Garnier, Thomas Henglebrock a restitué avec brio ce parcours romantique. L’ouverture de Coriolan, composée par Beethoven en 1807 pour servir d’introduction au drame du poète Heinrich-Joseph von Collin, était d’un bel équilibre formel. Le tempo sobre et réfléchi mettait en valeur la résolution hautaine du propos exprimée par d’impérieux accords et de grands pans sonores abrupts, en opposition au thème mélodique plaintif qui venait troubler les sombres pensées du héros. Enfin, dans les derniers accords marqués par le doute, le chef laissait percevoir la vision saisissante de l’échec ressentie par le général rebelle au moment de mourir.

Toujours imposante, malgré un volume et une extension qui se sont réduits avec le temps, Deborah Polaski a su témoigner une grande noblesse à La mort de Cléopâtre de Berlioz. Sa déclamation n’était pas irréprochable, surtout lorsqu’elle murmurait les longues phrases de Pierre-Ange Vieillard, à la manière de Janet Baker mais, même si sa voix manque aujourd’hui de pulpe et d’un certain tranchant, elle n’en demeure pas moins une interprète respectable, comme sa double prestation dans Les Troyens (toujours à la Bastille) l’a prouvé.

Faisait suite à cette cantate de 1829, L’Héroïde funèbre conçue par Liszt comme un mouvement d’une symphonie à la gloire de la Révolution française. A la fois marche funèbre et hymne à la mémoire des défunts de tous les pays, l’œuvre qui fait la part belle aux percussions et aux instruments militaires était ordonnancée avec maîtrise et conviction par Thomas Hengelbrock.

Deborah Polaski retrouvait pour conclure l’héroïne qu’elle a le plus chanté dans sa carrière, Brünnhilde, avec une immolation dignement campée. Plus sensible et plus humaine que par le passé, son interprétation accompagnée avec douceur et fermeté par les solistes de l’Orchestre de l’Opéra, a indéniablement perdu en franchise et en éclat (le haut medium est douloureux et les piani désincarnés), mais l’artiste, à bientôt soixante ans, force le respect.

François Lesueur

Opéra Bastille, 17 mai 2008

Réservation pour l’Opéra de Paris

Photo : DR

Partager par emailImprimer

Derniers articles