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Paris - Compte-rendu : Orchestre au sommet


Il y a des soirées comme ça où l’on reste sur les sommets de la première à la dernière note. Ce fut le cas du mémorable concert dirigé par le grand Christoph von Dohnanyi à la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Paris inspiré. Oui, il le fallait vraiment pour tenir la gageure de cette incroyable choucroute que représente l’orchestration réalisée en 1932 par Schoenberg du 1er Quatuor pour piano et cordes de Brahms. Non seulement le piano a coulé corps et bien dans l‘aventure, mais il y a peu de ressemblances entre l’oeuvre originale transparente et aérienne et l’énorme poème symphonique qu’elle devient. La question à poser est : peut-on superposer la fameuse « mélodie de timbres » chère à la seconde école de Vienne et le parcours mélodique imaginé par Brahms quatre-vingts ans plus tôt ?

Comme chacun sait : plus par plus fait… moins, en musique comme en arithmétique. La démarche prouve du moins la fascination exercée par l’auteur du Requiem allemand sur l’avant-garde viennoise. Cette orchestration serait-elle l’hommage du vice sériel à la vertu tonale ? D’aucun pourrait le penser. Le résultat fait naturellement songer au grand orchestre de Gustav Mahler (l’Intermezzo) et de Richard Strauss (l’Allegro initial et l’Andante). Quant au Rondo alla zingarese final, il ajoute simplement une Danse hongroise supplémentaire à celles déjà composées par Brahms ! Qu’elle soit signée par le père du Pierrot lunaire ne manque pas de sel… Le miracle, c’est qu’on écoute, et sans se lasser, un pensum non exempt de pesanteur.

C’est par la grâce des musiciens de l’Opéra de Paris qui savent appliquer toute la virtuosité qui les caractérise et leur intelligence musicale à la réalisation des moindres intentions du chef allemand. Une complicité de plus de trois décennies les unit, en effet, depuis que Rolf Liebermann avait confié à son ami von Dohnanyi la reprise des fameuses Noces de Figaro de Mozart emblématiques de son règne à l’Opéra de Paris. Ce n’est pas un hasard si le maestro avait choisi en seconde partie Une Vie de héros, l’éblouissant chef-d’œuvre symphonique de Richard Strauss. Existe-t-il dans tout le répertoire une pièce plus apte à mettre en valeur les instrumentistes ? Ce fut fait, des cuivres à la petite harmonie. Sans oublier, évidemment, le célébrissime solo de violon avec lequel Maxime Tholance se taille la part du lion. Et c’est justice. Voilà un vrai grand orchestre européen où des individualités remarquables savent se fondre dans un corps social collectif pour mieux transcender leur talent et assurer le triomphe de la musique.

Jacques Doucelin

Salle Pleyel, le 19 janvier 2008

Programme détaillé de la salle Pleyel

Photo : DR

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