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Paris - Compte-rendu : le Rake’s Progress selon André Engel, le mystère en moins


On connaissait déjà cette production du Rake’s Progress de Stravinsky selon André Engel, vue à Lausanne. Comme Robert Lepage dans sa si subtile relecture pour la Monnaie de Bruxelles et l’Opéra de Lyon, Engel déportait déjà Tom Rakewell d’Albion aux States. La comparaison s’arrête là, car là où Robert Lepage dessinait des arrières plans prodigieux de nostalgie et d’amertume – on n’est pas près d’oublier Anna au volant de sa voiture à la recherche de Tom, noyée dans une tristesse absolue – Engel tient le minimum syndical, colle aux situations au point qu’il n’a plus aucun recul pour en exprimer les ambiguïtés.

Spectacle donc hautement lisible, mais au final trompeur. Ainsi le retour aux Enfers de Nick Shadows fait presque sourire avec sa loupiote qui clignote. Tout cela se regarde et s’oublie aussitôt, même le jardin assez David Hockney des premières scènes, hommage volontaire à une production légendaire de l’œuvre qui a fait les beaux jours de Glyndebourne.

Dommage car le plateau tenait plus qu’il ne promettait : Randle est toujours aussi à l’aise dans son Tom Rakewell très mâtiné de Mozart, qu’il nous fait pourtant un rien trop bon garçon égaré, petit frère consentant du Soldat de la fameuse Histoire. Mais l ‘élégance de son chant pallie cela. Elsa Maurus évite à Baba la Turque toute caricature, et ce jusque dans la scène de ménage. Autre avantage, elle chante vraiment sa partie contre tant de consœurs que l’on y distribue en fin de carrière et qui n’y font qu’un rôle de composition ullulando. Spirituelle et assez maternelle Mother Goose de Nuala Willis, formidable Sellem de Simeon Esper, déchaîné et brillant dans la scène des enchères, un Gergory Reinhart en voix un rien raidie mais très efficace pour le père d’Anne.

Anne, justement….combien de sopranos jolies brunes faites au moule la Russie nous garde-t-elle encore en réserve ? Chaque saison l’une chasse l’autre, Guryakova, Netrebko, et maintenant Olga Peretyatko. La voix est belle, encore un rien sèche, défaut de jeunesse, mais avec des réserves dans le grave et un médium bien placé. On sent un vrai lyrique, une future mozartienne, et avantage sur ses consœurs, elle fait montre d’une prononciation parfaite. Plus de couleurs auraient aidées son interprétation subtile, qui rendait bien la nostalgie revendiquée d’un des plus beaux personnages de l’opéra du XXe siècle.

Au sommet, le Nick Shadow sans diablerie inutile de David Pittinguer, mordant quant il faut, banal comme doit l’être un vrai succube s’il veut gagner son lot d’âmes humaines. Par économie il finissait par glacer le sang autrement que toutes ces basses qui engluent le personnage dans les sous-entendus. L’acteur principal de l’opéra manquait : l’orchestre. Sous la baguette précise mais peu percutante de Frédéric Chaslin le style néotout de Stravinsky disparaissait dans les pupitres en grisaille d’un Ensemble Orchestral de Paris auquel on a connu des soirs plus glorieux.

Jean-Charles Hoffelé

Igor Stravinsky, The Rake’s Progress, Théâtre des Champs-Elysées le 11 novembre 2007

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Photo : Alvano Yanez

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