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Paris - Compte-rendu : le Château de Barbe-bleue à Garnier, noir c’est noir

Contraste : la Fura del baus a raté par une certaine facilité de lecture le délicat Journal d’un disparu et réussit probablement le plus fascinant Château de Barbe-bleue que l’on ait vu. Pour le Journal une malencontreuse référence à Salomé et à Saint Jean Baptiste réinterprète abusivement le drame libérateur de Janacek : Michael König – assez formidable autant par la voix que par le jeux - prisonnier d’une cuve et en émergeant progressivement torse nu envoie à un moment aux cintres le double de sa tête décollée ; fatalement la Tzigane sera une professionnelle avantageusement campée par les charmes d’Hanna Esther Minutillo dont le mezzo projette toujours aussi peu mais qui appartient décidément à cette nouvelle race de cantatrice qui se veut avant tout actrice. On voit le genre, pas très subtil, mais formidablement mis en espace, avec ce dénuement du plateau noir et cette utilisation surprenante d’une cohorte de danseurs rampants. Orchestration assez terne mais dramatique de Gustav Kuhn.

Rideau, ou plutôt non pas rideau justement. On a à peine le temps de souffler que la voix off de Maurice Bénichou nous récite une méchante, très méchante traduction de l’incipit voulu par Bela Balazs et par Bartok. Mais immédiatement l’œil, saisit par une violente lumière venue du fond de scène, est hypnotisé par un spectacle total. Scène plongée dans les ténèbres, pas de décors. Une Judith démultipliée déambulant dans l’obscurité totale, un Barbe Bleue ténébreux qui lui aussi se perdra en deux clones. Un fauteuil, un lit, amenés lorsque le texte les suggère – le lit en particulier, où la Fura incarne enfin la demande répétée de Barbe Bleue ; « aime moi Judith », ce que Beatrice Uria Monzon fait les yeux bandés.

Erotisme du désespoir, où le malaise s’insinue lorsque les femmes du monstre émergent de la couche, souvenirs de chairs et d’étreintes. Spectacle absolument prodigieux, qui montre autant qu’il suggère. Tour de force de cette grande compagnie d’illusionniste catalans qui cette fois à respecté à la lettre le sujet de l’œuvre.
Et musicalement une sorte de perfection, avec une Judith rendue à un de ses possibles, un vrai Falcon, et le Barbe Bleue élégant et dangereux mais aussi humain de Willard White qui n’aura jamais moins bien porté son nom qu’en cette production. Kuhn est autrement inspiré – et inspirant – dans Bartok que dans Mozart.

Un bémol : on se serait passé des scories vidéastes qui une nouvelle fois mettent en abyme le Palais Garnier. Le spectacle possède une intensité telle que ce collage est superflu.

Jean-Charles Hoffelé

Spectacle Janacek-Bartok, Palais Garnier, le 4 février, puis les 6,8, 13 et 16 février.

Le programme détaillé de l’Opéra Garnier
 

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