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Paris - Compte-rendu : la Femme sans ombre à la Bastille - Contresens et débâcle

On se doute qu’une part essentielle de la Femme sans ombre ne veut pas entrer dans le système Wilson. Passe encore pour les Dieux : leur escalier, leurs trois arbres râteaux-antennes, souvenirs des Hespérides, font encore partie de la signalétique de l’auteur. Mais ces pauvres humains, et qui piaillent et qui bougent, et qui normalement devraient s’embrasser et se faire des scènes de ménage, non jamais.

Du coup Wilson sépare Barak du lot, en fait une sorte de demi-dieu un peu austère et ratiocinant, dont l’Impératrice est amoureuse (tiens, tiens…), et transforme les trois frères du teinturier en pseudo-arlequins kabuki : des caricatures plutôt que de l’humanité. Ayant dit cela, on a tout dit d’un beau spectacle dont la plus grande qualité est par instant l’absence.

Rideau. Mais hélas pas sur la fosse. Comment supporter l’orchestre plancher, en noir et blanc, mou, arythmique, vulgaire, et évidemment a contrario de l’esprit de conte et de merveilleux voulu par Hofmannsthal et Strauss que monsieur Gustav Kuhn inflige à son plateau et aux auditeurs ? Pour nous qui avons appris des saisons durant la Frau ohne Schatten avec Sawallisch à Munich, ni plus ni moins qu’un massacre.

Visiblement abandonné, les chanteurs font ce qu’ils peuvent, et hélas plutôt mal. Si Westbroek campe une Impératrice fascinante de volonté, la colorature lui manque et les grands aigus soudains que Strauss lui demande la laissent à la limite du cri. Jane Henschel, formidable actrice – on se doute qu’elle peine à se contenir dans le petit ballet de Wilson – massacre les mystères et les ires de la nourrice, personnage central du drame d’Hofmannsthal, de sa voix sans grâce. Hawlata peine terriblement en Barak, qui demande plutôt un baryton sombre, type Walter Berry, qu’une basse claire, et y perd plus d’une fois sa justesse. Ce sont aussi les périls de justesse qui grève l’Empereur altier de John Villars, alors qu’il n’embarrasse guère la Teinturière assez commune de Christine Brewer, avec son allemand mâchonné et son timbre bruyant.

On a vu ces dernières années, à La Monnaie de Bruxelles, au Capitole de Toulouse, des Frau ohne Schatten de grande venue, autrement distribuées que celle-ci, et l’on reste sans voix devant l’à-peu-près que Bastille nous a offert.

Jean-Charles Hoffelé

Richard Strauss : La Femme sans ombre, Opéra Bastille, le 21 janvier, puis les 24, 28, 31 janvier et les 3, 7, 10 février.

Programme détaillé de l’Opéra Bastille

Photo : Opera de Paris/Eric Mahoudeau
 

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