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Paris - Compte-rendu - Dowland revisité par le luth de Paul O’Dette : un portrait au modèle


Un et multiple, le luth élisabéthain s’incarne avant tout dans les miniatures habitées de John Dowland, le magique « cygne de Dublin » (une origine contestée par plusieurs musicologues, mais que semblerait confirmer sa conversion au catholicisme, alors qu’il se trouvait au service de l’ambassadeur d’Angleterre à Paris).

En fait, sous la délicatesse arachnéenne de l’écriture, une nature complexe et ambiguë se cache ici, suggérant une manière de dédoublement ou plutôt de déchirure intime que le musicien n’a pas cherché à cacher dans l’ineffable Semper Dowland, semper dolens qui, chez ce prince de la plainte secrète et de la tristesse, tourne à la devise, à l’emblème.

En tout cas, Paul O’Dette est merveilleusement à l’aise dans cet espace du rêve et de l’instant, qu’il s’approprie en expert des états d’âme et du portrait intérieur. Servi par le décor convivial du Théâtre des Abbesses, il réinvente un Dowland pour happy few, au gré d’un parcours tour à tour doloriste, trémulant, vulnérable ; à l’image de la carrière de ce grand voyageur qui, entre autres, fréquenta amoureusement l’Italie, faisant notamment étape à Venise, Gênes, Ferrare, Florence et Rome et y rencontrant peut-être le prince des madrigalistes Luca Marenzio.

Certains, à ce propos, parleraient d’alchimie, de mystérieuse complicité entre l’état de grâce de la musique et le bonheur expressif de l’interprète. Tenons-nous en à l’essentiel : cette virtuosité ailée qui, chez O’Dette, transfigure tout ce qu’il touche. Ainsi le primesaut, frangé de nostalgie, de la fameuse Gaillarde du Roi de Danemark qui fait mémoire des années passées à Copenhague au service du roi Christian IV, loin de la cour d’Angleterre (il n’y obtiendra un poste qu’en 1612) et où le don rythmique est aussi message poétique. Ou encore le cheminement de la Fancy n°6 qui, à l’écoute des voix de l’âme, se fait éloge de la musique pure. Et l’on n’oubliera pas non plus les surprises chromatiques de l’étrange Farewell, ni le dolorisme sublimé des Lachrimae dont notre musicien tirera par ailleurs les Seven Tears : soit « Sept Pavanes passionnées » pour ensemble de violes qui seront l’un des succès éditoriaux de l’époque.

Aussi bien, tout n’est pas que mélancolie dans cette évocation subtile et tout autant colorée. Une palette d’affects pluralistes vibre là, dont O’Dette rend compte exemplairement, ancré dans un environnement insulaire où l’humour et l’équivoque ont leur part (la Frogg Galliard ou Gaillarde de la Grenouille qui fait peut-être référence au Duc d’Alençon, que la Reine-Vierge, en petit comité, appelait sa « grenouille »!). Et pour finir, le désir d’Italie n’est pas sacrifié, certes transposé, mais toujours discernable dans ce chant doux-amer en qui se résume l’une des plus attachantes destinées musicales de la Renaissance et du premier Baroque.

Roger Tellart

Paris, Théâtre des Abbesses, 13 mars 2009

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Photo : DR

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