Journal
Paris - Compte-rendu - Décevant Hary Janos de Kodaly
L’occasion est rare d’entendre l’œuvre lyrique de Zoltan Kodaly, Hary Janos, créée en 1926. Est-ce en raison de son étrangeté ? Essentiellement construit sur des chants populaires hongrois, Hary Janos est une épopée nationale dont le héros est une espèce de soldat fanfaron, pétri d’humanité, mêlant sagesse et folie. L’histoire, profondément ancrée dans le patrimoine hongrois, s’inscrit dans la tradition des contes populaires, qui décrivent les aventures de héros humbles et attachants : Hary Janos, hussard en poste à la frontière russe, devient ainsi le sauveur de l’impératrice Marie-Louise, qu’il arrache d’une façon bien invraisemblable aux mains de Russes, avant d’être le vainqueur de Napoléon, dont les conquêtes auraient été causées – selon Hary – par un homme jaloux de son succès auprès de Marie-Louise.
L’œuvre de Kodaly, pour laquelle Bartok ne cachait pas son admiration, présente un caractère hybride qui est typique des productions des années 1920 : elle mêle parlé et chanté, chants choraux, danses, acrobaties, musiques de danse…. Kodaly exploite habilement le procédé qui consiste à utiliser un narrateur contant sa propre histoire, pour donner une vision ambiguë de son héros, personnage double, affabulateur et sincère à la fois : un récitant et un chanteur incarnent ainsi, tour à tour, Hary Janos.
Attraction principale de la soirée, Gérard Depardieu, qui avait déjà joué à Montpellier l’an dernier le Récitant dans Oedipus Rex de Stravinsky, s’attaquait à présent à Hary Janos. Il est rare qu’un acteur si célèbre participe à des productions lyriques. Mais quelle déception de voir Depardieu rivé à son texte, esquissant parfois un geste du bras, ou haussant la voix, sans parvenir à incarner son personnage ! Immobile devant son pupitre, hésitant dès qu’il détachait son regard du texte, ne parvenant pas à masquer par quelques grondements de voix ses lacunes, Depardieu ne fut convaincant que par instants : au cœur de l’ouvrage, Hary déclame un long monologue contre Dieu, impassible devant la guerre et la souffrance humaine ; à ce moment, Depardieu réussit à faire passer un souffle épique dans cette tirade, qui fut vraiment grande. Mais le reste du temps, il n’éveilla que des regrets : si seulement il avait su son texte par cœur !
Les chanteurs, dont la partie est somme toute assez réduite dans le drame de Kodaly, furent tous bons, en particulier Nora Gubisch, émouvante dans le rôle d’Ilke, la femme de Hary, et Béla Perencz, campant un Hary Janos impavide lors de ses rares apparitions. L’orchestre national de Montpellier, malgré quelques imprécisions, en particulier dans le pupitre des cuivres, si importants pourtant, et son chef Friedemann Layer ont proposé une version honnête de la partition, sans parvenir toutefois à créer un vent de folie dans les danses ou une atmosphère poétique lors des rêveries du héros.
Quant à la mise en scène de Jean-Paul Scarpitta, elle nuisit beaucoup à l’œuvre : à vouloir à tout prix actualiser l’opéra de Kodaly, Scarpitta n’a guère évité les allusions insisitantes et « modes » aux thèmes contemporains, alors que le drame hongrois pouvait paraître universel. Le metteur en scène a accompli son devoir de résistance en faisant défiler des drapeaux irakiens, israéliens, palestiniens, et algériens ( ?) pour évoquer évidemment les horreurs de la guerre, alors que les interogations d’Hary étaient métaphysiques ; la comtesse Estrella devait forcément être un travesti ; la métaphore insistante de la jeune funambule, représentant sans doute l’âme d’Ilke, revenait à intervalles plus que réguliers.
Enfin la chorégraphie, qui plaquait des enchaînements de danse contemporaine sur une musique de danses populaires hongroises, nous a paru non seulement peu adéquate à l’œuvre, mais en outre très approximative. Au total cette soirée était plus décevante que passionnante. A quand une mise en scène de l’œuvre de Kodaly, qui, sans être passéiste, serait plus respectueuse du projet du compositeur ?
Christophe Corbier
Le 13 juin au Théâtre du Châtelet
Photo: Marc Ginot
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