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Paris - Compte-rendu - Création de Stanze de Luciano Berio par l’Orchestre de Paris

L’évènement de ces concerts des 22 et 23 janvier à Mogador était la création posthume de la dernière œuvre de Luciano Berio, Stanze, commande de l’Orchestre de Paris. Stanze est écrit pour un baryton solo, trois chœurs d’hommes et un grand orchestre. Berio présente ainsi son œuvre : « Il ne s’agit pas de stances, de strophes, d’une composition poétique ou d’une chanson ancienne. Il s’agit en revanche de véritables chambres, avec des portes et des fenêtres, comme les espaces habitables d’un édifice. Chaque chambre est habitée par une poésie différente (de Paul Celan, Giorgio Caproni, Eduardo Sanguinetti, Alfred Brendel et Dan Pagis) qui évoque une image ironique, souffrante ou détachée d’un autre ou d’un ailleurs innommables ».

Cet autre et cet ailleurs innommables que Berio lui-même associe à l’idée de Dieu colorent d’une tragique grandeur l’œuvre de Berio, véritable testament. L’impression générale et celle d’un continuum aux harmonies saturées par des clusters éparpillés dans un orchestre aux riches colorations, zébré tout à coup d’éclairs de violence ou contredit par un scherzo mahlérien sarcastique. L’œuvre s’ouvre sur un poème énigmatique de Paul Celan dans lequel le baryton Dietrich Henschel, magnifiquement impliqué, interpelle le Seigneur en levant chaque fois la main droite et la conclusion de Dan Pagis nous renvoie dans un climat éthéré à la même interrogation métaphysique « nul ne peut savoir qui est damné, qui est béni, dans la poussière brûlée ».

L’utilisation des trois chœurs d’hommes (ici le Chœur de l’Armée Française) aurait du donner un effet de spatialisation que la disposition sur la scène de Mogador ne permettait pas de réaliser. Les tessitures graves des chœurs et du soliste, l’aspect compact de l’orchestre ajoutaient à la gravité générale du propos mais en laissant toujours sa place à l’infini de l’imaginaire. Dans cette œuvre Berio se confirme non seulement comme l’un des plus grands compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle mais aussi l’un de ses esprits les plus élevés.

En préambule, Ciaccona de Marc-André Dalbavie était loin d’avoir ce poids. Commençant comme l’adagietto de la cinquième symphonie de Mahler pour développer successivement le timbre, l’harmonie, le jeu sur la résonance, les échos, les canons, la mélodie, l’œuvre déploie une science certaine de l’orchestration et d’une harmonie restaurée mais les évènements arrivent sans véritable nécessité et l’aspect décoratif l’emporte sur le frémissement de l’attente.

Pour terminer, la narration déliée de Mahler dans le >Klagende Lied faisait l’effet d’un respiration après les temps compressés de Berio et Dalbavie. Des trois solistes, le ténor Paul Groves nous est apparu le plus en voix alors que le chœur de l’Orchestre de Paris donnait toute sa puissance. Le chef Christoph Eschenbach a mis la même passion dans les styles musicaux très différents présentés lors de ces concerts.

Sylvain Hochard

Théâtre Mogador

Photo : DR
 

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