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Paris - Compte-rendu : Candide au Châtelet, la fête à Voltaire

Après ce qu’il faut bien appeler, le ratage, ou le faux pas, du Chanteur de Mexico en ouverture de saison pour le début du règne de Jean-Luc Choplin au Châtelet, la première du Candide de Leonard Bernstein à Paris, un demi siècle exactement après sa création à Broadway, constitue une réussite indéniable. Paris tient là un vrai spectacle de fin d’année. Cette réussite est due à un admirable travail d’équipe autour du metteur en scène canadien Robert Carsen. Son principal mérite est d’avoir acclimaté à Paris ce produit si typiquement new-yorkais et d’avoir unifié une pièce dont le manque de cohérence constitue le principal défaut.

Conçue en 1956, en réaction au McCarthysme d’alors, cette pièce inspirée du conte éponyme de Voltaire a rassemblé plusieurs librettistes et n’a cessé d’être remaniée, réorchestrée jusqu’en 1983. Carsen, son fidèle dramaturge Ian Burton et son décorateur attitré Michael Levine ont décidé de récrire les dialogues parlés en français pour mieux ancrer cette « opérette comique » dans l’actualité d’hier et d’aujourd’hui. Car Candide appartient à ces œuvres, plus nombreuses qu’on le pense, qu’il faut « aider » à passer la rampe, fût-ce au prix d’un antiaméricanisme primaire. L’ensemble des tableaux composant cette revue satirique seront vus à travers l’écran d’une des premières télévisions.

L’ouverture particulièrement brillante, voire rutilante de strass et de paillettes, trouve ainsi un accompagnement idéal dans la projection de bandes d’actualités où défilent toutes les célébrités américaines de l’époque : le spectateur se trouve ainsi plongé dans l’univers où Bernstein conçut l’ouvrage. Bel exemple de pédagogie indolore ! Quant à la distance historique chère au public français, elle a le visage d’un Voltaire emperruqué qui commente l’action en jonglant avec les époques, et assure les enchaînements à la manière d’un récitant juste devant l’écran de télévision qui tient lieu de cadre de scène. Quant il franchit ce cercle magique, c’est pour chanter en anglais les airs de Pangloss et de Martin.

C’est l’admirable Lambert Wilson qui tient ce triple rôle et passe en virtuose d’une langue à l’autre. Comédien et baryton, il est un parfait Fregoli. Bien connu du public de l’Opéra de Paris, le ténor américain William Burden est très à l’aise dans le rôle-titre tout comme la Vieille campée par une habituée de Broadway, la mezzo Kim Criswell. A quelques notes près, la soprano Anna Christy est une savoureuse Cunégonde mâtinée de Marylin Monroe.

Mais tout n’est que clins d’œil, carambolages de l’Histoire en une fresque débridée qui n’attriste que les pisse-vinaigre. Le public rit : on lui a révélé un Bernstein inconnu. Tout le monde s’y met, de l’excellent chef américain John Axelrod à la tête d’un Ensemble Orchestral de Paris qui s’encanaille, aux Chœurs du Châtelet et au ballet particulièrement bien intégré à la joyeuse troupe. Faut-il reprocher à Robert Carsen d’avoir cédé à la tentation d’actualiser le second naufrage qui libère au milieu de barils de fuel, les présidents des pays européens juchés sur des matelas en slips aux couleurs de leurs drapeaux respectifs (extrait vidéo)? Devant la joie du public, ça ne serait pas raisonnable…

Jacques Doucelin

Théâtre du Châtelet, le 11 décembre 2006.

* Candide sera retransmis par Arte le 20 janvier 2007, à 22h30, et par France Musique le 7 février, à 20h

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Photo : Marie-Noëlle Robert
 

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