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Paris - Compte-rendu - Boris Berezovsky : entre tendresse et autorité

C’est par la volumineuse Sonate op.25 n°2 de Medtner (1911) que le pianiste russe Boris Berezovky entame son récital au Théâtre des Champs- Elysées, le 17 mai dernier. Dédiée à Rachmaninov et inspirée du poème de Tioutchev « Le vent nocturne », elle pousse l’interprète dans ses derniers retranchements. Pas un silence, pas une seconde de répit, mais un flot de musique ininterrompu, un enchevêtrement inextricable de contre-chants et de lignes adjacentes. Boris Berezovsky, loin de s’effaroucher d’un tel magma sonore, force l’admiration par son autorité et sa vision claire de l’œuvre. Il mène sa barque avec justesse et précision, conférant à la sonate une unité quasiment inespérée. Outre des moyens techniques éblouissants, c’est surtout la gestion du son qui impressionne. Avec une telle palette de nuances, le musicien se fait peintre et dessine le spectacle oppressant du vent nocturne, qui parle « dans une langue intelligible au cœur, de tourment incompréhensible […] et fais naître parfois des sons extravagants dans l’âme ».

Rompant tout à fait avec l’esprit romantique de Medtner, Boris Berezovky s’attaque à la Suite 1922 de Hindemith. Composée dans une Allemagne en crise, elle se veut résolument provocatrice, révolutionnaire et urbaine. Pour preuve, le compositeur note au cours de la partition : « Oublie tout ce que tu as pu apprendre dans tes leçons de piano. Ne réfléchis pas si tu dois frapper le ré dièse avec le quatrième ou le sixième doigt. Joue le morceau de manière très sauvage, mais dans un rythme toujours strict, comme une machine. Considère le piano comme si ce n’était qu’une variante intéressante de la batterie et traite-le en conséquence. » Trois des cinq mouvements de la Suite, sont inspirés par des danses à la mode dont le Shimmy. Boris Berezovky s’en donne à cœur joie et fait littéralement exploser son clavier. Après cette débauche sonore vient le Nocturne central. Très tendrement, le pianiste fait éclore de fines bulles cristallines. Un pur instant de grâce avant de repartir nonchalamment dans un Boston, puis dans un Ragtime final endiablé. Tissée de rythmes complexes et de polyphonies dissonantes, la musique de Hindemith trouve en Boris Berezovsky un interprète de choix. Puissant, endurant et déluré, il épouse les contours abrupts de la Suite 1922 avec une technique à la fois mécanique et sanguine.

En deuxième partie, une œuvre de lumière : la Sonate n°3 en si mineur de Chopin. Le premier mouvement étonne par des tempi parfois très alanguis. Boris Berezovky que l’on a connu plus instinctif choisit ici le ton de la confidence. Le Scherzo est un régal de fluidité avec ces traits scintillants et frais que le pianiste exécute en effleurant à peine les touches. Et puis, dans le mouvement lent, le musicien ose les pianissimi les plus infimes, jusqu’à l’évanouissement du son, jusqu’à la limite du silence. Le Final à la Berezovky est bien sûr flamboyant ! Public conquis et ovation. Après ce programme plutôt exigeant, le pianiste revient pour trois rappels, non sans humour : l’Etude Révolutionnaire de Chopin revue et corrigée par Godowsky (c’est-à-dire, à jouer uniquement avec la main gauche !), la Valse-Minute (Chopin-Godowsky) et une petite valse, de Godowsky seul cette fois.

Nicolas Nativel

Théâtre des Champs-Elysées, 17 mai 2005

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Photo: DR
 

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