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Paris - Compte-rendu : Ariodante en blanc

Spectacle sans incidence, sinon de persuader le spectateur peu sensible aux vraies beautés de la partition qu’on s’ennuie à Ariodante, décor unique – blanc-, avec un castel siennois en quatre dimensions et en perspective. Un fou de cour, joliment ajouté et joué avec finesse par un excellent danseur non nommé au programme. Hemleb se refuse les trésors - toujours dangereux- de l’imagination et fait tout un coup à cour un coup à jardin sous des éclairages peu variés et très droits.

Direction d’acteur survolée qui laisse à chacun le choix de se débrouiller avec ses propres moyens : à ce jeu la Ginevra de Danielle de Niese tire son épingle mieux qu’aucun de ses confrères, sinon Topi Lethipuu, mâle et subtil à la fois, et dont le ténor trop clair triomphe pourtant des nombreuses difficultés du rôle :comme Lucarnio est écrit décidément bas ! Impossible d’avoir peur devant le Polinesso de Vivica Genaux qui essaye de mettre tout son personnage dans ses grandes enjambées. Et si l’on a un Polinesso à la vocalise aussi mécanique et débitée comme si on avait tourné un commutateur, signalétique imparable de Vivica Genaux, toujours aussi agaçante de timbre (une Horne de poche, engoncée, indurée dans sa voix) quelle idée d’y opposer la vocalise passive – on emprunte ce terme à un éminent confrère de la presse du Grand Capital – d’Angelica Kirchschlager ? Rencontre improbable de deux styles, plus ! de deux écoles, mariage du lapin et de la carpe.

On a beau jeu de critiquer : vocalement et question de goût mise à part cet Ariodante valait uniquement par un cast de luxe et par une exécution musicale de haut niveau. Même les cors des Talents Lyriques si estropiés par la critique lors du récent Jules César, jouaient ce soir parfaitement tenus, portant nœuds papillons en quelques sorte. Christophe Rousset que cette polémique sans piston avait agacé fait d’ailleurs répondre aux critiques dans le programme par un piquant article de Florence Badol-Bertrand dont le titre dit tout : Le cor baroque, un naturel a (ne pas) chasser.

Mettons des bémols à cette distribution brillante : Kirchcschlager chantait noble, un peu générique à l’image de sa gestique, et ne trouvait pas tout à fait l’émotion si douloureuse et violente d’une Von Otter – Scherza, infida aussi réussi fut-il était en terme d’intensité très en dessous de son modèle – Danielle de Niese atteignait à une sorte d’adéquation naturelle avec le personnage, mais quelques aigus désagrégeaient son timbre et en faisaient voir la trame, broutilles car son engagement dramatique effaçait tout cela, bien qu’elle n’ait pas retrouvé toute la fragilité un rien suicidaire du personnage dans son jeu un peu trop fille à son père, mais aussi dans le timbre – on a encore Lynne Dawson dans l’oreille. Très séduisante, fraîche et aussi au III avec dans la voix l’ombre du remord Jaël Azzaretti pour une Dalinda parfaite. Olivier Lalouette peinait au II mais campait un roi émouvant .Enfin tous faisaient aux mieux, non pas malgré Christophe Rousset, qui ne les a pas dérangés avec son accompagnement musical, mais en quelque sorte à côté de lui.

Car le hic venait bien de la fosse : joli orchestre, lissé, où tout glisse et se perd dans des rythmes égalisés, contrastés seulement pour des ballets assez bien vus (et pourtant les danseurs ont été sifflés au rideau) . Mais Haendel n’est pas Traetta ou Jommelli, il veut du drame, des larmes, du sang, il ne s’incarne que dans l’émotion et pas dans la rétention. Dix ans après le séisme provoqué dans cette œuvre par Marc Minkowski et toute son équipe, aucune leçon n’a été tirée de que certains avaient considéré alors comme une expérience limite mais qui avec le recul du temps, et en contraste avec cette soirée, rendait compte d’un art et d’une vérité que Les Talents Lyriques ont prudement effleurés

Jean-Charles Hoffelé

Georg Friedrich Haendel : Ariodante, Théâtre des Champs-Elysées, le 16 mars.

Prochaines représentations, les 20 et 22 mars. Opéra National de Lyon, le 29 octobre 2006.

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Photo : DR
 

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