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Otello de Verdi au Festival Castell de Peralada – Une mémorable incarnation

En proposant à Gregory Kunde (photo) de faire se première appatition à Peralada dans Otello, rôle dont le ténor américain s'est brillamment emparé en 2012 à la Fenice, Oriol Aguilà, directeur du festival catalan (1), savait qu'il créerait l'événement, d'autant que Carlos Alvarez et Eva-Maria Westbroek ont été associés dès l’origine au projet. Venu nombreux pour ne pas rater la seule production scénique de l'édition 2015, le public a eu la chance d'assister à une formidable représentation. Avec un orchestre et un chœur empruntés au Liceu, rompus aux exigences verdiennes et placés sous la baguette experte du maestro Riccardo Frizza, cet Otello s'est avéré une fête pour les admirateurs de l'ouvrage : la cohérence des tempi, la noirceur inhérente au propos, lentement instillée comme un poison, et le crescendo dramatique ont offert un parfait contrepoint à la lecture soignée de Paco Azorin. Certaines maladresses ou facilités, comme ces schémas incrustés censés renforcer le machiavélisme de Iago, ou ces gros bras vêtus de cuir au service du même Iago, aux pratiques douteuses et caricaturales, auraient pu être évitées. Mais le décor constitué de parois métalliques aux angles tranchants (Alessandro Arangeli), sur lesquelles pouvaient être projetées des images vidéo animées ou pas (Pedro Chamizo), a permis d'accentuer l'univers de suspicion, de trahison et de mensonge qui parcourt l'œuvre et que le jeu nerveux des interprètes renforçait.
 
Omniprésent et ne pouvant se séparer de son miroir portatif, cauteleux avec les uns, violent avec les autres, le Iago de Carlos Alvarez est un des plus accomplis qui soit, après avoir été sur cette même scène un merveilleux Don Giovanni et un inoubliable Gérard. Prêt à tout pour prendre la place de son maître, ce personnage aux accents cyniques et raffinés, d'une santé vocale impressionnante, ferait basculer le drame s'il n'avait en face de lui un maure rugissant. Dans ce rôle mythique où à la puissance et l'héroïsme répondent la douleur absolue engendrée par la jalousie, Gregory Kunde est exceptionnel. Qu'il n'ait pas l'âge du rôle importe peu, car sa voix polie par les années et la fréquentation de répertoires opposés n'a rien perdu de sa spectaculaire aisance, de cette propension unique à nuancer, à phraser de manière belcantiste comme peu d'Otello l'ont fait avant lui. Fougueux face à ses hommes, tendre d'abord avec Desdemona, ce lion aux graves de baryton et aux aigus d'airain que l'on imaginait indestructible, va pourtant vaciller sous nos yeux, réduit à la déchéance, misérable à l'issue d'un 3ème acte porté à l'incandescence, avant de sombrer dans la folie meurtrière.
 
La fréquence de rôles beaucoup trop lourds pour son format (wagnériens pour la plupart) a gravement affecté l'instrument d'Eva-Maria Westbroek, hier encore ferme et lumineux, aujourd'hui terne et resserré. Scéniquement crédible, sa Desdemona au souffle court et aux piani détimbrés trahit les intentions du compositeur et fausse malheureusement l'équilibre du plateau, notamment pendant le long concertato qui clôt le 3ème acte, l'air du Saule au 4ème, étant tout simplement interminable et douloureux. Enfin parmi les comprimari se détachent Damian del Castillo, efficace dans le rôle de Montano, Vicenc Esteve Madrid, bon Roderigo, le Cassio de Francisco Vas et l'Emilia de Mireia Pintó n'étant qu'honnêtes à l'image du Lodovico campé par Miguel Ángel Zapater.
 
L'an prochain, Peralada fêtera son 30ème anniversaire et l'on peut parier sans se tromper que les festivités prévues à cette occasion feront grand bruit ...
 
François Lesueur
 
(1) Lire l’interview d’Oriol Aguilá : http://www.concertclassic.com/article/une-interview-doriol-aguila-directeur-du-festival-castell-de-peralada-diversite-et
 
Verdi : Otello – Festival Castell de Peralada, Espagne, 1er août 2015

Photo © gregorykunde.com

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