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Orphée et Eurydice à Angers-Nantes Opéra - En noir - Compte-rendu

Emmanuelle Bastet refuse la fin heureuse dont Calzabigi – Pierre-Louis Moline lui est évidement resté fidèle – a abusivement vêtu le mythe d’Orphée. Pardon pour les puristes de Gluck, mais on lui donne mille fois raison. Cette fin heureuse et simplement imbécile, qui repeint rétrospectivement toute l’œuvre en rose bonbon, nous a si souvent gâté l’Orphée et Eurydice de Gluck, qu’on était trop heureux de voir après la dernière intervention d’Amour les amants sombrer dans la mort, l’assemblée endeuillée revenir, le noir refermer le noir. C’est admirable, cela garde le désespoir élégant de Gluck si cohérent, en quelque sorte confirme la vraie dramaturgie de l’ouvrage et se meut d’après la réelle nature de la musique.

On sait depuis sa sobre régie de Lucio Silla qu’Emmanuelle Bastet était même capable d’animer les marbres du Seria, car sa direction d’acteur s’appuie autant sur le mot que sur la note. Son geste part de la musique, sans renoncer pour cela à raconter son histoire. Cette complexité paradoxale devrait être l’alpha de toute mise en scène.

Pour son Orphée, elle ajoute comme un geste chorégraphique global, qui souligne les errements psychologiques des caractères, et dessine les moments clefs de l’action qui ici est minimaliste. Il y faut qu’Orphée convainque ; il le pourra des enfers, il ne le pourra d’Eurydice qui veut voir ses yeux.

Le regard tue, Bastet met cela en évidence par un jeu subtil de détours, des esquives, des refuges contre les murs de scènes, toute une fuite immobile, une torture que l’Orphée androgyne, suprêmement élégant de Julie Robard-Gendre vit avec flamme. Ce tourment, cette violence qui rend la scène entre Orphée et Eurydice si poignante, si implacable, voir et mourir, quel défi pour un metteur en scène qui veut bien y prêter attention. Et quelle simplicité dans les gestes dont Emmanuelle Bastet meut ses chanteurs et nous émeut. Tout est dit, c’est, en stricte intimité et loin de toute cérémonie, le plus bel Orphée qu’on ait vu. Et l’on gardera longtemps en mémoire ces éclairages où le noir fait la lumière, ces Enfers dont les tombeaux délivrent les morts debout, ces Champs-Elysées d’automne où un rêve d’année folle se dissout, s’endort, temps des illusions perdues, seul tableaux d’époque qui devient une parenthèse irréelle.

Version Berlioz donc, plateau tout entier féminin, où les trois caractères sont admirables : Julie Robard-Gendre, dont le timbre ambré de grande mezzo déjà goûté en Prince Charmant pour la Cendrillon de Massenet à Massy est idéal à quelques graves près pour le poète de Thrace, l’Eurydice éperdue, troublante, volontaire d’Hélène Guilmette (on n’a simplement jamais vu mieux en cet emploi pour la voix comme pour le jeu), l’Amour au caractère bien trempé, au soprano mutin et allègre de Sophie Junker auquel Bastet fait prendre quelques poses de mousse, plateau parfaitement équilibré.

C’est là que se joue le drame, dans ce triangle inextinguible. Spectacle impeccable qui devrait faire école. Dommage qu’Andreas Spering n’arrive pas à en convaincre l’orchestre, souvent approximatif. Le jeu en valait pourtant la chandelle.

Jean-Charles Hoffelé

Gluck : Orphée et Eurydice (version Berlioz/Viardot)

Nantes, Théâtre Graslin, le 9 mars, prochaines représentations : Angers, Grand Théâtre, les 18, 20 et 22 mars 2012 / www. angers-nantes-opera.com

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Photo : DR
 

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