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Orfeo d’Antonio Sartorio en première française à l’Opéra de Montpellier – Les trophées d’Orphée – Compte-rendu
À qui voudrait entendre l’opéra du Seicento avec d’autres voix que celles de Monteverdi et de Cavalli, Antonio Sartorio (1630-1680) est hautement recommandable. Énergique, contrasté, balançant entre le comique graveleux et un pathétique généreux, on ne s’y ennuie guère. Sartorio, comme Agostino Steffani et Legrenzi, établit un pont entre la génération du premier opéra (1607-1647) et l’opera seria moralisé par Alessandro Scarlatti. L’air soliste se développe tout en restant court. L’écoute de cet Orfeo évoque d’ailleurs les œuvres de Reinhard Keiser, l’empereur de l’opéra de Hambourg où œuvra Sartorio.
Philippe Jaroussky a eu le coup de foudre pour cet ouvrage dont existent deux enregistrements. (René Clemencic en 1980 et Stephen Stubbs en 2007). Benjamin Lazar, depuis son Sant’Alessio de Landi (Théâtre des Champs Élysées, 2007) s’est fait le serviteur de ces œuvres complexes. En collaboration avec l’ARCAL qui fera tourner la production à Royaumont, Sénart, Suresnes, Arras, Juvisy-sur-Orge avant d’investir le Théâtre de l’Athénée en décembre 2023, l’opéra de Montpellier a le premier proposé la découverte de cette version plutôt décapante du célèbre mythe.
© Marc Ginot /OONM
On ne retrouvera pas le lyrisme tragique de Monteverdi ou de Luigi Rossi dans cet Orfeo donné à Venise en 1672, tandis qu’à Paris Lully préparait son Cadmus et Hermione. Le livret d’Aurelio Aureli est baroque au sens premier : biscornu. Orphée, roi de Thrace, s’avère jaloux de l’amour qu’Aristée, son frère, porte à Eurydice. Le furieux s’en trouve tant indisposé qu’il commandite le meurtre de son épouse à un mutin mercenaire, Orillo. Et c’est en fuyant le reître qu’Eurydice sera mordue par le serpent, l’intrigue reprenant dès lors son déroulé académique.
Tout s’avère délirant dans ce parangon de l’opéra vénitien où la fantaisie et la transgression font loi. On croise Esculape, un autre frère d’Orfeo, ici caricaturé en médecin pontifiant et inefficace. À la première intrigue se superposent les amours contrariés d’Aristée et d’Autonoé, une princesse thébaine également convoitée par Achille et Hercule, eux-mêmes poursuivis par leur mentor, le centaure Chiron. Sans oublier les amourettes d’Erinda, une lubrique matrona qui régente toute cette mythologie farfelue.
© Marc Ginot /OONM
La pétulante drag-queen, perruquée en Marilyn Monroe, ouvre le spectacle. Planté sur une tournette, Zachary Wilder amuse et séduit avec son ténor clair et léger. Surgissant d’entre trois praticables ajourés de miroirs pivotants, voici Orphée et Eurydice, l’occasion de jouir d’un irrésistible duo (« Cara e amabile catena ») entre la soprano au timbre mezzo Arianna Vendittelli et l’Eurydice, plus effacée, d’Alicia Amo. Les costumes opulents sont signés Alain Blanchot et le décor Adeline Caron, complices de longue date de Benjamin Lazar. Trois heures plus tard, tous les personnages s’en trouveront dépouillés.
© Marc Ginot /OONM
Le metteur en scène fait quelques clins d’œil à l’antique, mais ne pratique plus cette archéologie de la gestuelle qui l’a fait connaître. Elle est désormais diluée dans un art théâtral où les afféteries d’hier sont devenues une élégance naturelle. Les demi-dieux semblent des statues animées et Chiron, monté sur cothurnes et béquilles, piaffe comme un équidé. Ces trouvailles et l’omniprésente bouffonnerie servent les qualités de chaque interprète, que ce soit le piquant Orillo de Gaia Petrone, habillée en punkette frénétique, l’émouvante Autonoé de Maya Kherani ou l’excellent contre-ténor Paul figuier en Achille. Son aria « Cupido fra le pianti » (acte 2 scène 13) est un moment fort de la production. Découverte de la soirée, le magnifiquement projeté contre-ténor coréen Kangmin Justin Kim qui joue de son androgynie très K-pop. Quant aux trois voix basses, Esculape, Hercule et Chiron, chacun compense sa neutralité vocale par un intense investissement physique.
© Marc Ginot /OONM
Philippe Jaroussky est apparu sur la scène baroque en 2003, avec son ensemble Artaserse, lors d’un désormais légendaire concert Benedetto Ferrari en l’Église des Billettes. Vingt ans plus tard, les mêmes redonnent vie, avec alacrité, à une partition qui égrène toute la palette des émotions amoureuses. La direction est nerveuse, parfois au détriment d’un continuo que l’on aimerait plus sfumato et velouté, Vincent Dumestre restant en la matière le mètre étalon. Ce sont les percussions et les cornets à bouquin qui pimentent ici la cuisine baroque, et tant pis si ces instruments n’étaient (peut-être) pas présents dans l’orchestre du Teatro San Salvatore en 1672. En 2023, cela importe peu. La musique du Seicento était, et reste, à géométrie variable, ajustable selon les besoins et les moyens.
Cet Orfeo cocasse ravit par son esprit joueur et sa sensualité généreuse. Ouvert avec un enivrant duo, il s’achève par l‘ébouriffant mariage vocal d’Aristée et d’Autonoé dans « Nel regno d’Amore ». Entre-temps, l’émotion du théâtre à son meilleur n’aura cessé de triompher. On en envirait presque les jeunes chanteurs qui vont reprendre l’œuvre à Royaumont et préparer la tournée à venir.
Vincent Borel
Antonio Sartorio : Orfeo (première française) - Montpellier Opéra-Comédie, 7 juin ; prochaines représentations les 9 et 10 juin 2023-06-07
www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenements/orfeo/
www.arcal-lyrique.fr/spectacle/orfeo-2/
Photo © Marc Ginot /OONM
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