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Norma selon Anne Delbée à l’Opéra de Marseille – Entre onirisme et tragédie – Compte-rendu
Point de chênes en polystyrène, ni de druides barbus vêtus de peaux de bêtes pour la Norma présentée en ouverture de saison. L’Opéra de Marseille a porté son choix sur la scénographie fantasmagorique de l’écrivaine et metteuse en scène Anne Delbée à laquelle Maurice Xiberras, directeur du lieu, a eu le bon goût d’adjoindre une distribution cinq étoiles, sous la baguette de Michele Spotti, directeur musical depuis une saison déjà de l’excellent orchestre maison.
Entre les futaies stylisées, Norma paraît accompagnée d’un grand cerf blanc, dieu de la forêt pour les celtes. A l’heure de la cueillette du gui elle enjoint les gaulois à ne pas entrer en guerre avec les envahisseurs romains. N’est-elle pas amoureuse du proconsul Pollione qui lui a donné deux enfants ? Mais Pollione aime Adalgisa ; dès lors la druidesse va vivre les états de la femme trompée depuis la soif de vengeance et passant par l’espoir d’un retour pour arriver au bûcher funèbre final où en tant que prêtresse ayant renié ses vœux, elle périra avec Pollione, revenu en amour pour elle, sachant que ses enfants seront épargnés et qu’Adalgisa vivra.
Karine Deshayes est une tragédienne ; ça tombe bien car la mise en scène d’Anne Delbée, si elle est onirique, offre aussi de reflets de tragédie antique. Au cœur des décors sobres et métalliques d’Abel Orain et Hernan Penuela, deux mondes sont présents : celui, mystique et légendaire, des druides guidés par leur prêtresse Norma et celui, plus trivial, des humains.
Il y a deux ans, nous avions assisté à la prise de rôle de Karine Deshayes, en version de concert, au Festival d’Aix-en-Provence. Nous avions été séduits par sa puissance et sa maîtrise. À Marseille, sa Norma prend une autre dimension. Sous la direction d’Anne Delbée, la mezzo donne du sentiment et de la chair à son personnage, entre l’univers mystique et la condition humaine. Il faut oublier les références du passé pour découvrir une nouvelle Norma, une nouvelle âme, à travers un « Casta Diva » tout de sensibilité, attaqué mezzo-voce pour aller crescendo. Tout au long de la représentation, la voix de Karine Deshayes alterne puissance, sensualité et virtuosité dans un registre parfois assassin pour l’instrument.
La soprano géorgienne Salome Jicia s’impose en Adalgisa. Jeune femme tourmentée entre vœux religieux et amour passionné, la couleur de sa ligne vocale, précise et puissante, en fait le complément idéal de la voix de Karine Deshayes et leurs duos l’illustrent parfaitement. Quant à la Clotilda de Laurence Janot, chacune de ses interventions est précise et sa chaleur vocale indéniable.
Pouvait-il y avoir meilleur interprète de Pollione qu’Enea Scala ? Le ténor sicilien impose avec puissance son machisme méditerranéen. Avouons aussi qu’il est moins arrogant lorsqu’il s’agit d’évoquer des songes funestes. Et c’est tout à son honneur de maîtriser sa fougue vocale à l’heure des duos et trios en compagnie d’Adalgisa et Norma. Eblouissant !
Le père de Norma, Oroveso, est campé par Patrick Bolleire et les couleurs sombres de son instrument s’avèrent idéales à chacune de ses interventions.
À l’instar de Laurence Janot dans son personnage, Marc Larcher offre un Flavio qui impose sa présence et sa belle ligne de chant lorsque la partition le lui demande. Préparé par Florent Mayet et Clément Lonca, le chœur de l’Opéra s’est, lui aussi, montré exceptionnel en cette soirée de première. Du volume, de la précision, de la couleur : autant de qualités qui ont accompagné chacune de ses interventions.
Puis il a le grand cerf blanc incarné par Valentin Fruitier. Un dieu gaulois qui annonce leur destin aux humains qui le croisent. Voulu par la metteuse en scène, sa présence est surprenante, parfois légèrement dérangeante, mais on peut trouver une lumière dans cet élément onirique et mystique …
La soirée inaugurale de la saison aura aussi été l’occasion d’une première, en forme d’ovation XXL de Michele Spotti au moment de son retour au pupitre après l’entracte. Un moment étonnant mais, il faut bien le dire, mérité par le jeune chef italien. Lumineuse, intense et d’une précision diabolique, sa direction donne une dimension exceptionnelle à la partition de Bellini. De la belle ouvrage rendue possible par l’excellence d’un orchestre devenu grand au fil des ans et qui affectionne particulièrement le répertoire italien et belcantiste.
La saison du 100ème anniversaire de l’Opéra de Marseille s’ouvre de triomphale manière !
Michel Egéa
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Bellini : Norma – Marseille, Opéra, 26 septembre ; prochaines représentations 29 septembre (14 h 30), 1er et 3 octobre 2024 (20 h.) // opera.marseille.fr/programmation/opera/norm
Photo © Christian Dresse
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