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Nicholas Angelich en récital à Piano **** (Philharmonie de Paris) – Piano orchestral, piano magistral – Compte-rendu

Nicholas Angelich (photo) est un artiste attachant. Lorsqu’il entre en scène et s’approche de « la bête », on se dit qu’un rien pourrait lui faire tourner les talons pour s’enfuir à toutes jambes, tant il paraît effrayé, avec un air inimitable d’abattement et de fatalité. Si la scène lui semble d’abord un milieu hostile, la musique, le piano sont clairement pour lui une nécessité vitale. Angelich s’aimante ainsi lentement mais sûrement au grand Steinway de concert pour un récital inscrit dans la saison de Piano ****. Seul dans l’arène gigantesque de la grande salle de la Philharmonie, le pianiste à l’imposante carrure paraît presque vulnérable, et le piano à queue, grand ouvert, bien large, telle une gueule de loup ! Qui dominera qui ?
 
Le combat s’engage avec la 12e Sonate op. 26 « Marche funèbre » de Beethoven, titrée ainsi en raison de son troisième mouvement, solennel, dramatique et d’une incroyable inventivité (on est en 1800-1801!). Nicholas Angelich quitte, précisément à ce stade, une certaine raideur, perceptible au démarrage, qui durcit et le jeu et le son, trop métallique. La marche funèbre installe véritablement le pianiste dans une profondeur de champ et de sonorité toute différente. Soudain, il vient à l’oreille un choral cuivré, un roulement de timbales, il vient à l’esprit, un cortège, des visages graves.
 
© Jean-François Leclercq

Quatre Ballades op. 10 : l’heure n’est soudain plus du tout au combat. D’une grande concentration, ces pièces préfigurent le Brahms ultime. Angelich s’empare de leur nordique et mystérieuse atmosphère avec profond sens narratif : tensions poignantes, surnaturel, féerie, agitation presque démoniaque, dépouillement, tendresse… « Tout Brahms est là », disait C. Rostand. Et tout Angelich aussi. Le pianiste montre une aisance et une puissance quasi orchestrale, jouant de timbres contrastés ; une pâte sonore consistante et moelleuse à la fois.
On retrouve Brahms après la pause. L’ardente fougue des deux Rhapsodies op. 79 remet vite en selle pianiste et public. Robustesse, lyrisme, passion, liberté et inventivité sont les quelques mots qui viennent en tête en entendant ces pièces, souverainement conduites.
 
« J’ai conçu cette œuvre comme une espèce d’apothéose de la valse viennoise, à laquelle se mêle l’impression d’un tournoiement fantastique et fatal » écrivait Ravel à propos de La Valse. Disons-le franchement : c’est la première fois qu’on entendait cet ouvrage joué ainsi. Et ce n’était vraiment pas là qu’on attendait le pianiste. Une interprétation folle, sensible, fantastique, absolument vertigineuse, dans laquelle il nous entraîne avec âpreté et autorité. Cette partition absolument redoutable, voire injouable, semble évidente sous les doigts de l'artiste, embarqué corps et âme dans l’aventure hypnotique, la transe macabre, la danse barbare. Angelich virevolte, rebondit et s’envole, laissant l'auditeur groggy par tant d’intensité.
 
Prochain rendez-vous de Piano **** au Théâtre des Champs-Elysées, le 15 mai, avec Elena Bashkirova dans des pages de Mozart, Dvořák et Bartók.
 
Gaëlle Le Dantec

(1) www.theatrechampselysees.fr/la-saison/recital-piano/elena-bashkirova/ 

Paris, Philharmonie (Grande Salle), 23 avril 2019

Photo © Stéphane de Bourgies

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