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Nanterre - Compte-rendu : Wagner du côté du Bouddha


Grâce à sa collaboration déjà ancienne avec le compositeur britannique Jonathan Harvey (photo), 68 ans, l’Ircam a pu clore son festival Agora sur une magnifique création française, l’opéra Wagner Dream, au Théâtre des Amandiers à Nanterre. Il a été coproduit par l’Opéra d’Amsterdam dont le patron Pierre Audi avait signé la mise en scène chez lui et ici une mise en espace particulièrement réussie. Il a ainsi magnifiquement rendu justice à cet opéra sur un livret de Jean-Claude Carrière. Passionnés tous deux de bouddhisme, l’écrivain et le musicien se sont inspirés d’un projet d’opéra bouddhique de Wagner que celui-ci se remémore soudain au moment de mourir dans le fameux palais Vendramin à Venise.

Mêlant scènes parlées et chantées comme dans les « masques » anglais, Jonathan Harvey lance son œuvre sur l’ultime dispute conjugale du couple Wagner, une pittoresque scène de ménage entre Cosima et Richard. Peu après, celui-ci est victime d’une crise cardiaque et dans son délire, il mêle les personnages de son opéra inachevé et la peur de la mort. Les 22 musiciens de l’Ensemble Ictus emmenés à la victoire par le chef Martyn Brabbins occupent la partie gauche de la scène du Théâtre des Amandiers laissant la droite à la tribu Wagner incarnée par des comédiens. Une dizaine de chanteurs occupent le fond du plateau, leurs silhouettes découpées sur une toile éclairée par Nathalie Perrier.

L’étroite collaboration entre le compositeur et son librettiste a produit un miracle qu’il faut souligner. Trop souvent, en effet, les créations lyriques contemporaines souffrent de l’indigence de leur livret. C’est pourtant lui qui fonde la dramaturgie de l’opéra. Jonathan Harvey veille à ce que les mots soient compris grâce à une prosodie en accord avec la langue. Il ne cherche pas à innover dans son écriture vocale à l’inverse de ce qu’il fait avec les instruments, y compris les procédés électroacoustiques qu’il est allé chercher chez ses amis de l’Ircam. C’est un orchestre moderne, certes, mais pas pour être à la mode. Jonathan Harvey signe là une magnifique partition en adéquation totale avec le texte de Jean-Claude Carrière.

L’aspect hiératique de cet oratorio convient parfaitement au traitement du drame bouddhique imaginé par Wagner et que Harvey traite en théâtre dans le théâtre en s’inspirant des opéras d’église de Britten. Parmi les solistes on salue particulièrement le trio de protagonistes inspirés de celui qui constitue le cœur de La Flûte enchantée de Mozart, Pamina, Tamino et Sarastro, ici Prakriti, Ananda et Bouddha. La preuve que la tradition peut s’inscrire harmonieusement dans le bel aujourd’hui.

Jacques Doucelin

Nanterre, Théâtre des Amandiers, 23 juin 2007

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Photo : DR

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