Même costume, même chevelure noir de jais, coiffure et taille quasi identiques, ils ont une étonnante allure de Men in Black. Mais les deux Sud-Coréens Yunchan Lim et Minsoo Sohn ne viennent pas à La Roque d'Anthéron pour chasser les vilains extraterrestres mais pour présenter un étonnant programme à deux pianos. Ils ont pour cela choisi, parmi les neuf modèles mis à disposition par le festival, un Bösendorfer et un Steinway. La disposition des deux instruments côte à côte et non tête-bêche comme on en a l’habitude permet d'aligner leurs touches en un imaginaire clavier sans fin, celui d'un orchestre pour doigts.

© Valentine Chauvin
 
Le sérieux et l’imprévisible
 
Après un premier récital en 2023, Yunchan Lim, pianiste des plus côtés du moment à seulement 21 ans (il a rappelons-le obtenu la médaille d’or du Concours Van Cliburn en 2022), revient à La Roque d'Anthéron pour deux concerts : en duo avec Minsoo Sohn, qui fut son professeur, et en solo, mercredi 6 août, pour les Variations Goldberg.
Malgré les changements de place et d'instrument, les deux musiciens, pourtant unis dans un même élan musical, ne peuvent masquer leurs différences. Minsoo Sohn auréole les couleurs automnales du Bösendorfer d'une lumière directe et les superposent plus qu'il ne les fond. Il affiche un jeu franc, précis, articulé, toujours très maîtrisé. Yunchan Lim fait entendre en revanche un piano beaucoup plus délié, fluide et félin, riche d'une étonnante palette chromatique. Le sérieux pour l'aîné et l'imprévisible pour le cadet (ils ont vingt-huit ans d’écart) ? Ce serait évidemment caricatural mais pas totalement dénué de fondement. Il est vrai que Yunchan Lim semble totalement possédé par la musique, semblable à un volcan prêt à entrer en éruption à tout moment, sans pour autant ouvrir les vannes et perdre le contrôle. Son jeu se montre au contraire d'une absolue pureté et d'un raffinement exceptionnel.

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© Valentine Chauvin
 
Orage romantique
 
Dans la Sonate pour deux pianos op. 34b de Brahms, version primitive de ce qui deviendra le célèbre Quintette pour piano et cordes, les deux artistes agitent un puissant orage romantique dans leur instrument géant sans jamais épaissir le trait ni écraser le son. C'est bien l’œuvre d'un trentenaire impatient et exalté et non d'un sexagénaire bedonnant et essoufflé.
Devenu locomotive de cet attelage insolite, Yunchan Lim entraîne les Danses symphoniques de Rachmaninov à vive allure, ne négligeant ni l'expression péremptoire des premier et dernier épisodes, ni l'étrangeté de la valse centrale qui paraît souvent « dévisser ».
 
Straussienne apothéose
 
En conclusion, et apothéose, le duo proposait une Suite du Chevalier à la rose de Strauss somptueusement arrangée pour deux pianos dans laquelle se télescopent le frémissement amoureux et le désir érotique. Sens parfait du tempo, du temps, du geste, de l'éloquence et incandescence lyrique au rendez-vous. Un peu extraterrestre, finalement. Et grandiose.
 
Philippe Venturini
 

Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron, Parc du château de Florans, 4 août 2025 // Jusqu’au 17 août  : www.festival-piano.com/
 
Photo © Valentine Chauvin