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Musique et cinéma - PURE« Une porte ouverte sur un nouveau monde »  - Une interview de Lisa Langseth, réalisatrice

Il n’y a pas que dans la nouvelle littérature policière que les Nordiques excellent. Prenez le cas de la jeune réalisatrice suédoise Lisa Langseth. À 35 ans, elle est déjà à l’origine de plusieurs pièces de théâtre à succès et du film PURE qui vient de sortir sur nos écrans. Pour ce premier long-métrage qui conte l’histoire d’une jeune fille défavorisée tombant amoureuse d’un chef d’orchestre réputé, Lisa Langseth a eu la chance de collaborer avec l’Orchestre Philharmonique de Göteborg. Rencontre live from Stockholm où elle nous en dit plus sur son film, la place de la musique classique en Suède et l’influence de celle-ci sur la nouvelle génération.

PURE est avant tout une pièce de théâtre que vous avez montée en 2004. Pourquoi en avoir fait un film ?

LISA LANGSETH : La pièce était à l’origine un long monologue du personnage principal Katarina. Le scénario du film a dû être totalement réécrit. La différence entre les deux est assez conséquente, ne serait-ce que par l’arrivée de nouveaux personnages, des dialogues, etc.

La présence de la musique classique est-elle aussi importante dans la pièce que dans le film ?

L. S. : Oui. Cette histoire est avant tout celle de cette jeune fille défavorisée, Katarina, qui tombe amoureuse de quelque chose qui va au-delà de la simple réalité. Elle se prend de passion pour un art qui est plus beau que ce que le monde représente à ses yeux. Elle est dans la fleur de l’âge et cherche un sens à sa vie. À partir du moment où elle entend le Requiem de Mozart, elle trouve alors l’énergie pour survivre et aller de l’avant.

Votre film commence par un monologue où l’on entend la voix-off de Katarina s’exprimant dans un langage très cru. On entend par-dessus le Requiem de Mozart. Traitement antinomique non ?

L. S. : Il est très important de comprendre que Katarina n’appartient pas à ce monde de la musique classique, car elle n’a jamais reçu d’éducation spécifique pour cela. Elle ne fait pas partie de ce monde fermé. Dès le début du film, il faut saisir que cette jeune fille est totalement pure. Encore plus pure que n’importe qui d’autre. Son langage cru représente aussi sa personnalité. Elle vient d’une famille pauvre de la banlieue de Göteborg donc d’une autre classe. Elle cherche quelque chose qui puisse l’élever au-dessus du monde.

Katarina découvre la musique classique sur You Tube. Les nouveaux médias sont-ils, selon vous, un nouveau vecteur pour élargir le public de ce genre musical ?

L. S. : Tout à fait. J’ai rencontré à Stockholm une jeune fille venant d’un milieu populaire qui a découvert Bergman grâce à You Tube ! Ces médias permettent à beaucoup de jeunes de découvrir une culture à laquelle ils n’ont pas forcément accès. Ils s’émancipent ainsi par ce tremplin.

Pourquoi avez-vous choisi la salle de concert de Göteborg ?

L. S. : Je trouve cette salle de concert magnifique et j’aime particulièrement son architecture. Nous avons travaillé avec l’Orchestre Philharmonique de la ville qui était d’une grande écoute avec nous. Ce sont des musiciens de grand talent et des êtres attentionnés.

Pourtant votre film s’avère être une critique de ce monde fermé…

L. S. : Concernant l’Orchestre Philharmonique, les musiciens ont été très attentifs à ce sujet. Ils ont peut-être eu quelque peu peur au début par notre approche scénaristique. Nous avons donc beaucoup discuté à ce sujet et ils ont compris le fond de cette histoire. La musique est au contraire mise en avant, tout comme le travail de ces artistes. J’ai une vraie admiration pour ce métier. Nous avons tourné le film il y a deux ans et je regrette de ne pas avoir gardé de contact avec eux.

Comment avez-vous travaillé la prise de son ?

L. S. : L’orchestre était très sensible à cette question. Ils souhaitaient que celle-ci soit parfaite pour les raisons que vous connaissez. Nous avons donc à la fois tourné les images où ils jouent, puis enregistrez le son séparément avec des microphones bien spécifiques pour ce genre de captation. Eux aussi voulaient être fiers de leur prestation ! Nous avons donc passé beaucoup de temps à travailler le son en post-production par la suite. Il faut aussi sentir à quel point Katarina est possédée par cette musique. Avec ce film, mon but est que le public tombe aussi amoureux de Mozart, Bach et Beethoven.

Comment s’est d’ailleurs opéré le choix des morceaux classiques ?

L. S. : Il fallait que cela soit de la musique simple et abordable. Le Requiem de Mozart est une composition dont tout le monde peut s’éprendre immédiatement. Il s’agit aussi d’une Messe des morts. Vous pouvez naturellement saisir le double-sens qui réside dans ce choix.

Comment pourriez-vous décrire le monde de la musique classique en Suède ?

L. S. : Le public est assez âgé bien que les institutions essayent de rameuter des auditeurs plus jeunes. Mais ceci n’est pas une tâche facile ! Mon film montre une nouvelle image de la jeunesse contemporaine. Je suis persuadé que la musique classique a un grand avenir devant elle et qu’elle va attirer de plus en plus de jeunes.

Il semble pourtant avoir dans votre film un clivage générationnel entre ce chef d’orchestre entre deux âges qui noue une vraie fausse relation avec cette jeune fille.

L. S. : Il est vrai qu’il existe un clivage générationnel, mais aussi de classe sociale. Le chef d’orchestre abuse de son pouvoir au fur et à mesure du film jusqu’à l’humilier en lui demandant de danser sur du vulgaire hip-hop

Pensez-vous que la musique classique puisse conduire jusqu’à la folie ?

L. S. : Il y a déjà une certaine folie dans la musique classique, surtout si on l’écoute en boucle et au volume maximum ! Toute musique pourrait cependant conduire à la folie. Il s’agit d’une échappatoire à la réalité à l’image du cinéma. Pour Katarina, cette découverte est un vrai choc comme pouvait être celui de ma mère en écoutant The Beatles pour la première fois ! (Rires) Cette première écoute est une porte ouverte vers un nouveau monde.

On en vient pourtant à se demander justement vers la fin du film qui manipule qui.

L. S. : C’est vrai ! C’est un point crucial du film. Il y a un vrai jeu de séduction au début. Ils agissent chacun suivant leur propre intérêt jusqu’à ce que cela se retourne contre eux. Pour le chef d’orchestre il s’agit plus que du simple sexe, car il lui rappelle toutefois sa jeunesse et lui permet d’assouvir son propre ego. Je vois beaucoup ce genre de situation dans le monde du théâtre quand je mets en scène certaines pièces. C’est quelque chose de très malsain, sans que cela rende le personnage masculin détestable. Il s’agit d’un acte consentant, mais généralement sans suite.

Comment avez-vous vous-même découvert la musique classique ?

L. S : À l’image de mon personnage, je n’ai reçu aucune éducation musicale dans ma jeunesse. Je l’ai découvert par moi-même, surtout lorsque je montais des pièces de théâtre.

Votre film aurait-il pu se passer dans le monde de l’opéra ? Faites-vous une différence entre ces deux genres ?

L. S. : Je ne le pense pas. L’opéra est une forme d’art complètement différente de la musique classique. C’est un genre beaucoup plus difficile à comprendre. En Suède, le public de l’opéra apparaît beaucoup plus éduqué et aisé que celui des salles de concert. Il faut dire aussi que les billets sont plus chers.

Comment PURE a-t-il été perçu par le monde de la musique classique ?

L. S. : Nous avons eu un très bon accueil. J’ai reçu lors des derniers Guldbagge (les Césars suédois, ndlr) le prix du meilleur scénario tandis que l’actrice principale Alicia Vikander a reçu le prix de la meilleure actrice. Le public l’a trouvé assez authentique. Nous avons même organisé une projection du film au sein de la salle de concert de Göteborg ! Les musiciens ont beaucoup aimé le film. Il s’est avéré être un moyen pour eux d’amener un public plus jeune dans leur salle. Un beau concours de circonstances !

Quels sont vos prochains projets ?

L. S. : Je développe en ce moment mon second long-métrage, mais n’en suis qu’à l’étape du scénario.

  Propos recueillis et traduits de l’anglais par Edouard Brane, le 19 septembre 2011

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