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Monaco - Compte-rendu : Janowski dirige un Schoenberg européen avec les Gurrelieder

Voilà un vrai beau geste d’union musicale européenne pour les adieux de Marek Janowski à son Orchestre de Monte Carlo. En programmant conjointement au Grimaldi-Forum et à la Philharmonie de Berlin, les fameux et gigantesques Gurrelieder d’Arnold Schoenberg, le grand chef allemand a réuni ses deux actuelles phalanges, le Symphonique de la Radio berlinoise et le Philharmonique monégasque, auxquels il avait adjoint les deux Chœurs des radios de Berlin et de Leipzig ainsi qu’une demi douzaine de solistes triés sur le volet. L’événement musical de la semaine se déroulait donc sur le rocher des Grimaldi, entre ciel et eau, dans l’énorme nef dont Janowski avait obtenu naguère la construction du Prince Rainier.

Ce grand cycle poétique de près d’une heure et demie fascine tous les maestros de la terre, mais en a fait reculer plus d’un en raison de son gigantisme même : c’est un peu la Symphonie des Mille du père du dodécaphonisme. Mais nous sommes encore au tournant du siècle, et il n’est pas question de révolution sérielle. Au contraire ! Par delà Bruckner et sa dévotion bien connue à Wagner, ce sont les derniers feux du romantisme qui brûlent dans ce chaudron où se mêlent plusieurs centaines de musiciens et de choristes dans un vacarme qui va croissant. La première partie qui d’après un poème danois raconte l’histoire tragique du roi Waldemar et de la belle Tove victime d’une épouse jalouse est totalement wagnérienne : Isolde et l’oiseau de la forêt ne sont jamais loin.

Comment sortir de la forêt enchantée du romantisme ? C’est la question qu’avec ses contemporains, de Zemlinsky à Richard Strauss en passant par Mahler et Schreker, Schoenberg se pose. On sait qu’il réagira plus tard de façon radicale en faisant exploser le vieux système tonal. Dans ses Gurrelieder, il en est encore à essayer des voies plus traditionnelles : il gonfle ses effectifs pour obtenir des effets de masse, mais aussi de couleurs et de timbres. Dès l’interlude de la deuxième partie, il se dégage de l’influence wagnérienne. Dans l’épisode du Fou, il s’essaie à l’ironie grinçante chère à Mahler et au Strauss du Chevalier à la rose. Mais bientôt, la masse chorale entre dans la chevauchée sauvage ouvrant sur un « Mélodrame » qui renvoie à la fois à un genre cher à Mozart célébré par Liszt et à ce qui sera plus tard le fameux « Sprechgesang » de son Pierrot Lunaire.

Si tout explose, tout reste gentiment tonal. Le récitant n’est autre que notre excellent baryton François Le Roux qui a bien du mérite à se faire entendre dans les vagues que soulèvent les deux orchestres en état de fusion. Tout culmine avec les deux chœurs qui s’envolent dans une sensualité digne de Daphnis et Chloé de Ravel, contemporain de ce finale grandiose.

Il est difficile de maîtriser ces masses sonores dans un vaisseau à l’acoustique aussi incertaine. Il faut toute la maîtrise de Marek Janowski pour ne pas couvrir en permanence le ténor américain habitué de Bayreuth Robert-Dean Smith, Waldemar, le soprano de miel d’Eva-Maria Westbroek, Tove, la mezzo Petra Lang, le Ramier, la somptueuse basse coréenne Kwangschul Youn, le Paysan, et le ténor allemand Arnold Bezuyen, le Fou. Comme par miracle, leurs voix surnagent tandis qu’opère l’alchimie subtile de la fusion des deux orchestres, allemand et français, en une somptueuse célébration du cinquantenaire de l’Europe.

Jacques Doucelin

Monte Carlo, Grimaldi Forum, dimanche 25 mars 2007

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Photo : DR
 

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