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Minuit/Dream in my head de Yoann Bourgeois à la Cité de la musique – Fugacité et suspension – Compte-rendu

Yoann Bourgeois arrive seul en scène, se poste debout face au public, le regarde… quand tout d’un coup, comme si de rien n’était, une jambe et un bras se disloquent et tombent à terre. Sans agitation, on vient traîner le corps, et ramasser les bouts.
Entre drame et dérision, l’univers de l’artiste formé au Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne (1) est inclassable, tourné vers une poésie existentielle qui nous parle avec simplicité du temps qui passe, de la vie, de la mort, de la vulnérabilité des êtres, et de leurs aspirations à saisir l’éternité. Chacune des cinq scènes de « Minuit / Dream in my Head » est une métaphore de la vie, métaphore de chaque vie.

En suspension au bout d’une bascule, un personnage là-haut flotte doucement dans ses rêves, projetant un ballet suspendu d’ombres silencieuses qui viennent ramper sur les murs, se mouvant sur la musique intime et lancinante de l’étonnante harpiste Laure Brisa, qui répète obsessionnellement « L’eau conduit à la dérive ». Cette musicienne complète crée des boucles en utilisant la voix et la grosse caisse, et elle prendra une grande part dans l’unité et la magie de cette soirée.

La chanteuse Yael Naïm entre maintenant en scène avec son compagnon David Donatien, et sur la chanson « Dream in my Head » l’incroyable danseuse Lora Juodkaite tourne. Elle tourne et tourne dans une giration sans fin, hypnotisante. Elle tourne pour respirer, pour exister. Ronde des secondes, des jours, tourbillon des vies.
 Autre scène : au centre du plateau une grande estrade de bois tourne sur elle-même. Dessus, les corps se courbent, se cherchent, s’approchent, se perdent, s’enlacent.  Tournoiement, accélération – décélération, et désirs avortés par la fuite inexorable du temps et des êtres. La fuite du temps… qui rendrait dérisoire toute ébauche de vie, s’il n’y avait le mouvement, celui-là même qui crée la suspension, où flotte la danseuse au début du spectacle.
Dans son solo onirique Fugue/Trampoline, Yoann Bourgeois capture justement cet instant qui abolit le temps, cet instant de la suspension, temporelle comme physique. Ce moment de fugacité et de légèreté qu’est l’équilibre – instable – du trampoliniste avant la chute, met en abyme l’éphémère pour le rendre éternel.

Mais l’univers de Yoann Bourgeois est aussi plein d’humour, et le spectacle plein de surprises. Aussi quand il se sonde la tête avec un micro entend-on une foule de pensées désordonnées et incompréhensibles – et des spots vont jusqu’à tomber sur scène du haut du plafond de la salle des concerts de la Cité de la musique, provoquant l’effroi des spectateurs ! Le danseur-trampoliniste-acteur-jongleur prône un cirque où la performance s’efface pour laisser place à un langage simple, puissant et poétique.

Manuel Gaulhiac

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(1) www.cnac.fr

Paris, Cité de la musique, salle des concerts, 24 février 2018
 
Photo © Géraldine Aresteanu

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