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Michel Plasson dirige La Damnation de Faust au Festival de Colmar - Grisante chevauchée – Compte-rendu

Berlioz, le romantique échevelé, Goethe, le visionnaire d’outre-Rhin, Vladimir Spivakov, le violoniste étincelant, aujourd’hui chef et homme d’entreprise, des musiciens et des choristes russes nourris de Tchaïkovski, Prokofiev et Schnittke, des chanteurs francophones, toutes ces forces de frappe soudées dans l’Eglise Saint-Matthieu de Colmar , offerte dans la grâce de ses pignons et canaux, voilà une aventure forte, transcendée par le charisme, l’engagement éperdu de Michel Plasson : déchaînant les foudres de sa baguette, il a maîtrisé de bout en bout une Damnation de Faust d’anthologie, tout au moins sur le plan orchestral et choral.
Vladimir Spivakov, à la tête du Festival depuis 1989,  et Michel Plasson, sont amis de longue date, et le Russe a eu l’idée de faire du chef français la figure dominante de cette 29e session, ce choix succédant aux hommages précédents, qui racontaient plus volontiers de grands interprètes disparus, tels David Oïstrakh. Certes Plasson n’a plus l’âge de ses exploits toulousains, mais à 84 ans l’homme a gardé une inaltérable fraîcheur, et la passion pour la musique française qui a porté sa vie ne faiblit pas. Mieux, elle s’exacerbe dans sa hâte à exprimer tout ce qui lui tient à cœur.

 Pour cette Damnation de Faust, conduite dans une chaleur écrasante devant les claquements d’éventail d’une salle fascinée –  « que l’air est étouffant » déplore si bien Marguerite –, le chef, en nage, mais comme dans un état second, a arraché à l’excellent Orchestre National Philharmonique de Russie, entre deux trains d’enfer, ces instants de lyrisme étreignant qui disent le plus profond de l’âme de Berlioz. Il a su aussi trouver une harmonie parfaite avec le chœur « Maîtres de Chant Choral de Moscou », placé ainsi que les jeunes chanteurs du Conservatoire de Strasbourg, sur le balcon de l’église, et de côté ! « Un voyage qui mène très loin, et dont on a du mal à revenir », déclarait-il ensuite épuisé d’avoir tout donné. 
 
 Des solistes, en revanche, on a reçu des surprises contrastées, notamment celle d’une diction exceptionnelle limpide pour le ténor belge Marc Laho, chargé des terribles montées aigues de Faust, dont certaines furent incertaines, mais affadie par une ligne de chant inexpressive. Quant à Sophie Koch, on a apprécié ses envols puissants comme à l’ordinaire, et des détails d’un raffinement extrême, mais une émission anormalement brouillée.
Nicolas Courjal, lui, séduisait par les couleurs superbes de sa voix et la dynamique irrésistible de son Méphisto un rien trop sympathique, ce qui permettait de faire passer au second plan ce que son articulation pouvait avoir de peu clair, encore que l’acoustique engorgée de Saint-Matthieu en soit en partie responsable, car on connaît bien cette basse royale.

Alexandre Romanovsky © Bernard Fruhinsholz
 
Le lendemain, tandis que Plasson, aux côtés de son fils Emmanuel, également invité du festival, s’installait en auditeur dans l’église, c’était au tour de Vladimir Spivakov de lever la baguette sur son orchestre, habitué des lieux puisqu’il est en résidence au festival depuis treize ans. Et pour un concert qui convenait aux thèses que soutient le chef français, puisque a-t-il coutume de dire, « c’est la musique de son pays qu’un artiste sent et joue le mieux ». Donc, Sainte Russie, pour un concert Rachmaninov, qui a permis de retrouver une des belles découvertes de Spivakov, lequel fit jouer le jeune prodige Alexander Romanovsky lorsqu’il avait douze ans. Depuis, Colmar connaît mieux que le reste de la France ce garçon d’aujourd’hui 32 ans, qui plonge dans les vagues du 3e Concerto de Rachmaninov avec la largeur à la fois volubile et vibrante que requiert cette œuvre spectaculaire, acmé du grand style romantique, et régal pour le public, qui a l’impression d’être sur un nef dont le pianiste largue les voiles. Spivakov avec ses musiciens étaient, à l’évidence, portés par la même fièvre.
 
Pour finir, un peu bruyamment malheureusement, les Danses Symphoniques, qui ont de plus en plus l’honneur des salles de concert, alors qu’une fois passées les dix premières minutes et leur thème répétitif vigoureusement scandé, l’ennui gagne tant la composition tourne en rond et se boursoufle. Les musiciens s’y ébrouaient à l’aise, heureusement, car c’est là leur culture. Il sera donc d’autant plus intéressant de les entendre dans Schönberg, Mahler, Saint-Saëns et Beethoven, au programme des concerts suivants, tandis qu’ils retrouveront leurs racines pour clore le festival sur Tchaïkovski et son royal Concerto pour violon en ré majeur, joué par Clara-Jumi Kang. Jubilatoire.
 
Jacqueline Thuilleux

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Berlioz : Le Damnation de Faust - Colmar, église Saint-Matthieu, 8 juillet 2017. Concert Rachmaninov, 9 juillet 2017. Jusqu'au 14 juillet : www.festival-colmar.com
 
Photo : Michel Plasson © Patrice Nin
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