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​« Mélodies du bonheur » au théâtre des Champs-Elysées - « Quelle brochette, quand même ! » - Compte-rendu

En clôture de son annuel festival parisien, le Palazzetto Bru Zane a eu à cœur de présenter un des nombreux aspects de son activité proliférante : la défense de la mélodie française avec orchestre. Jusqu’ici, le PBZ avait beaucoup œuvré pour faire découvrir la production méconnue de plusieurs compositeurs dans le domaine plus habituel de la mélodie avec piano, mais tout récemment, avec la parution d’un enregistrement consacré aux « Songs with Orchestra » (eh oui, même le Centre de musique romantique française doit en passer par l’anglais pour vendre ses disques) de Massenet, ce pan-là du répertoire passe au premier plan. Non qu’il ait été totalement négligé jusqu’ici, puisqu’en 2017, un volume avait été consacré aux mélodies avec orchestre de Saint-Saëns ; le même compositeur avait aussi bénéficié de la gravure de ses Mélodies persanes en complément de La Princesse jaune paru l’an dernier.
 

© Guy Vivien

Pour le concert au théâtre des Champs-Elysées, quatre chanteurs ont donc été réunis, avec la formation qui avait participé au disque Massenet susmentionné, l’Orchestre de chambre de Paris, parfaitement à sa place dans cette musique qu’il interprète avec gourmandise, et trois instrumentistes solistes pour les parties confiées à la harpe, au piano et au violoncelle dans ces mélodies que Hervé Niquet semble avoir décidé de baptiser « du bonheur ». Et du bonheur, ce concert en aura certainement procuré à bien des auditeurs, tant il aura donné à chacun des artistes l’occasion de s’épanouir dans le domaine qui lui convient le mieux. « Quelle brochette, quand même ! » s’exclame d’ailleurs le chef au cours de la soirée, admiratif devant l’équipe réunie.
 

Emmanuel Ceysson © Gil Lefauconnier
 
Véronique Gens, qui a notamment enregistré pour l’album Nuits des mélodies avec quatuor à cordes et piano, est évidemment l’une des artistes qui ne pouvaient manquer à l’appel. On ne pouvait pas non plus imaginer cette soirée sans Tassis Christoyannis, héros de tant de disques de mélodies avec piano publiés sous l’égide du Palazzetto. On est évidemment ravi de les retrouver, l’une dans les Massenet qu’elle a défendus dans le récent disque évoqué plus haut – ah, ce chic inimitable qu’elle prête à « On dit » ! –, l’autre dans des Fauré, Chausson… ou Massenet, reprenant, et avec quel panache, « L’improvisatore » que le CD confiait à Nicole Car. Le concert offre justement l’occasion d’entendre certaines pages défendues par d’autres interprètes que ceux des enregistrements. Avec un timbre bien différent, mais avec une admirable délicatesse, Hélène Guilmette se substitue à Véronique Gens pour « Le Poète et le fantôme » de Massenet, ou à Yann Beuron pour « Angélus » de Saint-Saëns. Julien Dran propose une très intéressante alternative à Cyrille Dubois dans l’ « Hymne d’amour » de Massenet, dans une approche beaucoup plus opératique et tout aussi valide.
 

Xavier Phillips © Caroline Doutre

Le Palazzetto n’a pas non plus lésiné pour les trois solistes instrumentaux, chacun se voyant offrir au moins une pièce non chantée pour se mettre en valeur : le violoncelle envoûtant et sans esbroufe de Xavier Phillips ne quitte pas vraiment l’univers de la mélodie, puisque l’ « Invocation » des Erynnies de Massenet allait ensuite devenir célèbre comme « Elégie » ; le piano volubile de Cédric Tiberghien convaincra tous les réfractaires que Théodore Dubois (finale de la Suite pour piano et cordes) peut se révéler le plus séduisant des compositeurs ; et la harpe d’Emmanuel Ceysson (1), très régulièrement sollicitée dans les mélodies avec orchestre, laisse bouche bée par son exécution magistrale de la Danse profane de Debussy.
 

Cédric Tiberghien © DR

Quatre chanteurs, c’est aussi l’occasion de proposer duos, trios et quatuors. Lorsque l’on voit Véronique Gens et Tassis Christoyannis chanter « Les Fleurs » de Massenet, on savoure tout le second degré qu’y mettent ces artistes, moins immédiatement perceptible au disque lorsque cette mélodie était confiée à Nicole Car et Etienne Dupuis. Et surtout, la soirée s’achève par une œuvre rare du même compositeur : les Chansons des bois d’Amaranthe, de 1901, dans la version pour solistes et orchestre (on en connaît mieux la version pour chœur et piano) dont on espère que le PBZ proposera bientôt un enregistrement, tant il y a matière à admirer dans ce recueil de cinq pièces qui varient au maximum les configurations : après un trio et un duo, la troisième est un quatuor a cappella, seules les deux dernières faisant appel aux quatre voix. C’est d’ailleurs la dernière de ces Chansons, « Chantez », qui sera redonnée en bis par les artistes rappelés par les applaudissements enthousiastes du public.
 
Laurent Bury

(1)  Emmanuel Ceysson, qui était quelques jours plus tôt le soliste de l’Orchestre Lamoureux (dir. Adrien Perruchon) lors d’un concert « Paris romantique » inscrit dans le 9e Festival Bru Zane Paris : www.concertclassic.com/article/paris-romantique-par-lorchestre-lamoureux-le-souffle-de-la-rarete-compte-rendu
 
 
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, mercredi 29 juin 2022
 
Photo © OCP

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